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Je fais défiler frénétiquement toutes les informations que j'ai pu apprendre miraculeusement sur la schizophrénie hébéphrénique. C'est une maladie psychiatrique qui se déclare à l'adolescence, et qui est principalement caractérisée par le syndrome de dissociation. Syndrome de dissociation ? Qu'est-ce que ça veut dire cette merde ? Je ne suis pas encore convaincue par ce que le fou vient de me dire. Parce que tout soit clair. Entre nous deux, le fou c'est lui, pas moi. Je ne dois rien lui montrer, rien. Pas même le début de la faille qui vient ébranler ma certitude, rien.

-Bien essayé. Mais j'en peux plus de vos putains de manipulations digne d'un phacochère lépreux. Je n'en peux plus, je déclare en détachant chaque syllabe.

Je me raproche de lui, d'un démarche faussement assurée. En réalité, mon coeur bat à mille à l'heure, j'ai les mains moites et mes jambes tremblent. En bref, je n'en mène pas large. Mais la vérité, c'est que j'en ai marre. Marre de tout. Et par dessus-tout, marre de les laisser gagner. Je suis folle ? Grand bien leur fasse. Je ne vois pas ce que ça change au fond du problème. Ils se servent de nous pour je-ne-sais-quoi, c'est ça le fond du problème.

-Alors maintenant, si vous voulez que je continue à coopérer, il va falloir m'expliquer deux trois détails. Comme le but de cette expérience, à tout hasard ? Ou ce délire de schizo ?

Il éclate dans un rire tonitruant, un rire gras. Il me dégoûte, me débecte, m'horripile, je ne trouve plus de mots ! Cet homme est infect.

-Tu n'imagines pas à quel point la vie sans nos petites séances me parraissait insipide. Tu met du piment dans mon morne quotidien, avec tes petites crises à deux balles. Mais laisse moi te rafraîchir la mémoire, poupée.

Il réduit d'un pas la distance entre nous et me plaque contre un mur, en mettant son coude sous ma gorge. Je soutiens son regard, son haleine fétide m'étouffe. Le balai à chiottes qui lui sert de sourcil tressaute de temps à autre. Il a des tocs. Il ne contrôle pas tout.

-T'es rien ici. Rien. Tu veux pas comprendre ça ? T'as été diagnostiquée frappadingue y'a trois ans. Tes parents se sont débarassés de toi. Comme ça, d'un claquement de doigt, du jour au lendemain. Tu faisais les trottoirs, mais les services du Serveur n'aimaient pas les petites putes dans ton genre. Alors ils t'ont confiée à mes doigts de fée. Je t'ai récupérée il y a un an et demi. T'es personne. T'es la folle de la cellule du fond, qui fait des crises, et qu'on a renoncé à soigner. Fallait bien faire quelque chose de toi, pas vrai ? Un jour, quelqu'un est venu me voir. Pour me marchander trois de mes protégés. Le Savant qui a mis au point ces petites merveilles. Ça, dit il en appuyant fermement sur mon cou.

-C'est censé te rendre un peu moins conne. Lourde tâche, pas vrai ? Perso, j'y crois pas. Mais bon, force est de constater que ça a plutôt bien marché. Toi et tes petits camarades vous avez acquis des capacités de combat digne des meilleurs agents du Serveur. Bientôt, on va vous envoyer sur le terrain. En première ligne. Vous savez tout maintenant : le combat, les langues, l'informatique, la médecine... Ils ont faits de vous de bons petits robots de merde, à envoyer au casse-pipe à la moindre occasion. Ils ont fait d'une pierre deux coups : en créant des agents surpuissants, ils se débarassaient des tarés de ce monde.

 Mais le prix à payer était tellement lourd. Perdre tout ses souvenirs. Tout. Pour toujours. Ils ne trouvaient aucun volontaire. Alors, ils se sont penchés sur les fous. Sur les orphelins, sur les condamnés, sur les putes. Tu sais ce que ça veut dire ? On t'a volé tes souvenirs, ça prenait trop de place dans ta petite cervelle. D'un coup, comme ça, ils ont fait le ménage. On t'a juste laissé le strict nécessaire. Et tu sais ce qu'il y a de plus drôle ? Tes putains de souvenirs de pute sont perdus pour toujours. C'est irréversible. Alors, on se sent comment ?

PerseusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant