Chapitre 9

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Allongée dans le noir près de mon amie je compte chaque seconde qui passe et garde les yeux bien ouvert fixant le plafond, il faut absolument que je reste éveillée. La pendule vient de sonner minuit et à la respiration de Rosita je sais qu'elle dort profondément depuis déjà un petit moment. J'ai également entendu la bonne monter se coucher et la maison est silencieuse. C'est le moment ! Je glisse mes pieds hors de la couette et m'avance à pas feutrés. Manque de chance mon orteil percute le bureau de Rosita et je manque de pousser un cri tant la douleur me transperce, je mords ma lèvre et je retiens mes larmes. C'est en boitant que je me dirige à tâtons dans le couloir et seule la lune brillant dans mon dos me permet de m'orienter. Mais où est-ce que peut bien être retenue Izzya ?D'ailleurs si on réfléchit bien, elle n'est même pas vraiment cachée puisqu'elle à quitter son foyer et qu'elle travaille officiellement ici, pourtant elle reste toujours hors de vue du public. J'espère de tout mon cœur que c'est par soucis des convenances et non parce qu'elle est trop blessée pour sortir. Je relativise en me disant qu'elle a quand même une semi-liberté puisqu'elle a pu sortir et donner le message à Ewwins. Mon instinct me pousse à me rendre vers la cuisine, je crois me souvenir qu'une cave est adjacente à cette pièce, petite nous nous y cachions. Et la porte qui s'y trouve lui permettrait également de pouvoir se faufiler à l'extérieur. Le carrelage froid sous mes orteils me soulage un peu la douleur, j'espère ne mettre rien cassé !
Le lieu est telle que dans ma mémoire, une grande pièce remplit de bonnes odeurs, je plisse les yeux à la recherche de l'entrée du sous sol, là dans le fond près de la cheminée ! J'avance sur la pointe des pieds, silencieuse comme un chat, un bruit perce d'un coup le silence et je sursaute, l'oreille aux aguets et inventant déjà un mensonge. Le son vient d'un recoin derrière l'immense four, dans la pénombre il me semble distinguer une silhouette minuscule. Je plisse les yeux et m'avance encore un peu, se que j'y découvre me fend le cœur... 
Par terre à même le sol gelé, une paillasse de linge sale et dessus je devine plus que je ne reconnais ma meilleure amie. Ses magnifiques cheveux blonds et si longs sont à présent coupés en touffe folle sur son crane, son corps si rond par rapport au mien est si maigre que ses os ressortent en angle saillant et je crois distinguer des marques sur ses jambes, comme des brûlures.
Je m'effondre face à elle le visage ruisselant de larmes et nous nous serrons l'une l'autre une éternité. Je la touche et la palpe de partout pour m'assurer qu'elle est bien là avec moi et que ce n'est pas une hallucination. Je dois lui faire mal car elle grogne et se recroqueville quand je frôle son bras gauche.
-Mon dieu Izzya, qu'est ce qu'ils t'ont fait ?
Je sent que je vais vomir...
-Je savais que tu viendrais Annie, je n'ai jamais douté !
Ma meilleure amie me fend le cœur, elle n'a jamais douté de moi, alors que je l'ai abandonné entre les mains de ces...monstres ! Il n'y a pas d'autres mots. J'ai si honte de moi, je me dégoûte.
-Je t'ai abandonnée Izzya je suis tellement désolée, je sanglote contre elle.
-Arrête Annie, tu as très bien fait ! Je suis venue de moi même ici. J'ai sauvé Rayke et c'est tout ce qui compte ! Tu entends et je ne t'aurais jamais pardonné d'être venue plus tôt !
Comme elle l'a toujours fait Izzya trouve les paroles qui me réconfortent instantanément et j'arrive à reprendre le dessus.
-Il faut que nous te sauvons d'ici !
-Non ! Annie ce n'est pas pour cette raison que j'ai besoin de toi, je suis obligée de rester au service de Snel jusqu'à mes dix-huit ans, j'ai signé un contrat. Et même après que veux-tu que je fasse ? Ma réputation est ruinée...
C'est tout Izzya ! Elle est si forte et pragmatique. Je suis tout l'inverse.
-Tu pourrais venir travailler à la maison ! Je suis certaine que mon père en a les moyens et...
Izzya me coupe :
-Annie arrête ! Tu sais bien que jamais ça ne sera possible et je ne te demanderai jamais une chose pareil. J'ai accepté et je ne ferai pas marche arrière.
Je cherche les mots qui pourrait la faire changer d'avis, je bute, je m'énerve, mais je la connais trop bien pour savoir que le combat est perdu d'avance.
-Annie stop !J'ai fait une croix sur ma vie...mais...je...enfin j'ai besoin de toi pour autre chose, elle s'arrête, hésite et me fixe. Et après un long soupir reprend, je suis enceinte Annie !
Son beau visage est impassible, froid et je sais que sous ses airs de dûr elle est brisée. Un enfant...un enfant qui est le fruit de toutes ces tortures...
Je ne dis rien trop abasourdie, alors Izzya reprend :
-Il faut que tu m'aides à m'en débarrasser, je suis trop coincée pour pouvoir m'en charger moi même, mais je refuse que ce bébé voit le jour ! Tu m'entends, c'est impossible !
Toujours aucune réaction de ma part.
-Annie, Annie tu m'écoutes ?!
Je dois murmurer un oui, car elle enchaîne :
-Il y a une femme au Village des Vainqueurs qui aident illégalement les filles dans le besoin. C'est une vieille dame qui a gagnée il y a longtemps.
Mags !
-Il faut que tu ailles la trouver et que tu lui demandes des plantes...j'ai déjà vu ma mère faire...je...ce n'est pas douloureux.
J'ai l'impression que mon univers s'effondre, bien sûr que je vais aider Izzya mais si nous nous faisons prendre c'est la mort assurée pour nous toutes, Izzya, Mags et moi. Et je les aiment beaucoup trop pour vouloir les mettre en danger toutes les deux. Le Capitole est absolument contre toutes les méthodes de contraception et c'est pour cette raison que les foyers pour orphelins ont été créés. Il est fréquent de voir des femmes pendues pour avortement clandestins. Je suis d'ailleurs surprise que Mags si douce participe à ce genre de méthodes. J'ai toujours voulu des enfants et pour moi il a toujours été évident que j'en aurais une fois mariée, mais maintenant toutes mes convictions tombent en éclats. Je comprends mon amie et je sais que dans la même situation j'aurai réagis de la même façon.
-Bien sûr que je vais t'aider Izzya ! Je connais Mags et on fera le nécessaire, mais c'est dangereux...
Je caresse ses cheveux tendrement.
-Je n'ai pas le choix Annie.
Elle pose sa tête sur mes genoux et je lui chantonne une berceuse jusqu'à ce que ses sanglots et les miens s'apaisent. L'aube se lève et il est temps pour moi de repartir, je promets à Izzya de revenir au plus vite et l'embrasse fort.

Du fond de l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant