Chapitre I : Premier compromis

463 22 3
                                    

« Cette année, j'en suis certain : je vais travailler d'arrache-pied ! »

En y repensant, ce n'était pas satisfaisant comme affirmation, vous ne trouvez pas ? Il y manquait un soupçon d'entrain, de vérité pour croire à mes propres mensonges.

Le fond de ma gorge me grattait, une gêne silencieuse, comme si l'air venait à manquer et pourtant j'étais sorti du bus bondé. D'un pas hésitant, j'allais là où tous les élèves semblaient aller. Sûrement le hall principal. Mon premier jour dans cette nouvelle école impliquait tant de découvertes : l'anxiété me mettait à mal. S'y mêlait une excitation indiscutable.

Dans le but de me recentrer pour éviter une crise d'asthme, je délaissais la foule d'étudiants, me posais sur un banc qui jonchait l'allée principale. Tous avaient l'air pressé, certains paraissaient bien plus vieux que d'autres. Dans une école d'ingénieur, on croise des gens avec jusque cinq ans d'écart, ça en fait des différences. J'en profitais pour rehausser les plis de mon jean, et par la même occasion recoiffer les épis qui manifestaient sur ma tête. Quand on ne sait pas à quoi s'attendre, il vaut mieux se préparer le plus possible, autant éviter une entrée dérisoire. Certes je ne contrôlais pas toutes mes paroles, mais je choisissais - soigneusement, ce que les autres pouvaient voir. En parlant d'apparence, je jetai un coup d'œil à l'établissement et aperçus une tour sur le côté du bâtiment grisâtre, surélevée par rapport au reste. De la même couleur, le cylindre se mélangeait au bleu du ciel. Le vert manquait à l'appel, comme dans la plupart des villes.

Trêve de songeries, je rejoignis le troupeau qui escaladait les marches de la grande estrade menant à l'entrée - estrade aussi immaculée que le reste. Je commençais à croire que j'avais pris un ticket pour le paradis. Ce n'était en réalité qu'une vile illusion, puisque derrière ses portes attendait quelque chose de semblable à mon enfer. Je secouai la tête comme pour chasser les mauvais sorts et m'aventura à travers tous les corps excités. J'avais rendez-vous avec une conseillère et l'heure sur ma montre m'indiqua « vous êtes en retard ». Etant l'un des derniers inscrits sur les listes, aucun planning ne m'avait été assigné. J'aurais pu me retrouver à l'autre bout de la France, mais c'était ici que mon destin m'avait mené, ou plutôt le logiciel postbac.

Suivant à la lettre les panneaux directionnelles que je trouvais sur mon chemin, je préparais en parallèle mon discours d'excuse pour la conseillère d'orientation. Je pensais à de belles tournures qui pourraient m'avantager, sans savoir dans quelle classe j'étais prédestiné. Vous me direz, ce n'est pas très éthique de mentir d'emblée. Eh bien, techniquement je ne mentais pas. J'émettais seulement des stratégies futures ayant de grandes chances d'exister. L'inverse avait les mêmes probabilités, il est vrai, mais pas d'offuscation. C'est sur ce genre de discours que repose notre société.

Le couloir que j'avais emprunté paraissait interminable, sans compter les trois étages que je venais d'escalader. D'après la vue de la grande fenêtre devant laquelle je passais, la tour de l'école se trouvait de l'autre côté du couloir. Je devais d'ailleurs traverser un pont fait de carreaux, heureusement solides, pour y accéder. Je me demandais comment laver ces fenêtres au-dessus du vide. Visiblement j'étais le seul à me poser cette question vu les tâches de calcaire et d'usure. A ma droite, je voyais l'arrêt de bus et le chemin que j'avais emprunté plus tôt, ainsi que les routes et une forêt de cheminées. De l'autre côté des vitres, je découvrais une partie de l'arrière-cour. Les bâtisses de l'université s'unissaient en un rond approximatif pour servir de remparts, avec pour ordre de protéger le noyau principal ; le restaurant universitaire ! Lui-même était entouré d'une mer de ciment verdâtre et de quelques édifices boisés.

Mon regard se perdait à travers la grande fenêtre, noyé d'idées. Que penseraient mes parents s'ils me voyaient autant rêvasser, ils trouveraient bien quelque chose à dire. Mes yeux se fermaient et aussitôt, j'imaginais leurs regards inquiets, attendant toujours plus de moi. C'était une des raisons pour laquelle j'avais quitté ma banlieue parisienne, les jupons de ma mère et les rouflaquettes de mon père. A moi la conquête de Lille !

ElectronicalsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant