Chapitre IV : Préliminaire associatif

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Après une tape amicale, Sacha et Jehaï s'étaient silencieusement mis en retrait, comme si j'étais l'unique personne à pouvoir communiquer avec l'aliéné. Ma bouche eut beau s'ouvrir, aucun son n'en sortait.

Au mauvais moment, au mauvais endroit, fichu proverbe qui s'acharnait contre moi.

— Quel problème rencontres-tu ?

— Je...

— Si quelque chose te gêne, dis-le-moi juste.

— Non mais, ce n'est pas ça...

— Bon, tant mieux alors, conclut Augustin. Et n'oublie pas pour tout à l'heure, ce serait bête de rater la première réunion de l'asso, ne penses-tu pas.

Toujours ce même air impassible, feignant les questions pour imposer ses réponses, je l'imaginais rieur sous sa barbe, qui au passage le vieillissait bien.
À vue d'œil, je lui aurais donné 25 ans, même si la logique me contredisait : il était dans la classe supérieure, donc la vingtaine à peine.
Parlant d'âge, j'étais toujours mineur à l'époque, mieux valait garder l'information secrète sinon, adieu toutes les fêtes de cette année, y compris l'intégration.

Augustin reprit la route vers le bâtiment universitaire, nous passant devant, accompagné de ses acolytes.

Parmi eux se trouvait un châtain au sourire omniprésent, il devait être le rigolo de la promo, un certain Bran, le leader des jaunes. Aussi grand que le leader des rouges, sa mèche éclaircie lui donnait un air de quarterback, comme si j'avais déjà suivi un match de ma vie. Il y avait également un autre gars un peu plus enveloppé, des lunettes carrés sur le nez et une queue de cheval. Il s'agissait de Jean-Baptiste, que j'appris plus tard était le major de sa classe. Ou j'ai dû l'entendre s'en vanter tout à l'heure quand je les écoutais.
Et pour finir, Gaspar, le plus petit de la bande. Il présidait l'association des jeux-vidéos de l'école et également leader des bleus. Sa particularité : son visage transpirait la gentillesse, avec pourtant une coupe de cheveux très courtes aux airs militaires, digne d'un soldat sur le point d'être appelé au combat. Leurs démarches étaient communes et solidaires, presque indivisibles si on ne voyait pas qu'Augustin menait le pas. Une belle brochette d'énergumènes fiers cette promo d'anciens.

— Il interagit avec toutes les personnes comme ça ? nous demanda Sacha. Quel culot ce gars.

— J'ai bien l'impression... dis-je sans vraiment y croire. Pas très aimable.

— Augustin ? nous questionna Jehaï, je l'avais trouvé sympa lors de ma visite de l'école. Hé, on est en retard !

Il s'occupait également de faire visiter l'école aux nouveaux étudiants ? Eh bien, en voilà une personne impliquée dans la vie scolaire. Ah oui c'est vrai, on devait se rendre en cours. Sans l'habituelle sonnerie du lycée, j'avais presque oublié ce léger détail qu'est le temps.

◊ ◊ ◊

Les heures m'avaient paru éternelles, pressé d'en finir avec cette après-midi aux airs interminables. Pourtant je regrettais aussitôt mon impatience lorsque le cours prit fin. La journée était arrivée à son terme, place à la réunion de l'association d'Augustin. Je ne savais pas vous, mais dans ma tête, ça sonnait comme une sentence finale. Plusieurs scénarios polluaient mes pensées, des situations banales qui tournaient à l'angoisse. Croyez-moi, ces dernières me faisaient pâlir. Le stress montait mais je ne pouvais en aucun cas me défiler. L'écran de mon téléphone indiquait 18h29, avec en prime un message de ma mère. Tant pis, je lui répondrais si je ressortais vivant. Mon choix était fait, j'avançai. Une question demeurait dans mon esprit, était-ce l'insouciance ou l'impuissance qui me poussait à ouvrir la porte de la permanence ?

Pas de temps à perdre, je saisis la poignée, la tournai et entrai d'un pas peu décidé.

— Ha ! m'accueillit Augustin, je savais que tu serais à l'heure, tout en vérifiant sa montre.

Je ne pus m'empêcher de sourire face aux quatre têtes tournées vers moi. Je me sentis terriblement épier, putain je détestais ça.

— Salut... bégayais-je à l'intention des membres de l'association.

Une grande envie de me gifler m'interpellait. Je reconnaissais, autour de la table, Jean-Baptiste et Gaspar sur la gauche. Sur la droite se tenaient une blonde à lunettes et une chaise vide. Bien entendu, la position centrale revenait à Augustin, qui s'était levé pour me montrer la place libre à côté de la sienne. Je m'assis en feignant de faire attention à ma sacoche, me sentant toujours pathétique. Le moment où je devais relever le regard et rencontrer à nouveau ces membres qui me scrutaient sans bruit me faisait suer de crainte. Et ce moment arriva comme tous les autres que je redoutais, un silence de marbre s'abattit un instant dans la pièce.
J'aurais aimé prendre mes jambes à mon cou, partir loin d'ici, à l'image d'un rescapé. Au vu des regards, ils devaient se questionner sur ma présence, pourquoi une personne si jeune se trouvait à la réunion de leur association ?

Le président, Augustin, racla sa gorge pour attirer vers lui les regards et les pensées. Enfin il débuta un discours avec des mots minutieusement choisis, ça se sentait comme mon malaise. Il bougeait continuellement ses mains pour garder l'attention de ses camarades vers lui, il savait véritablement manier l'art oratoire. Il expliquait à tour de rôle les postes de chacun, puis vint le mien.

— Eren, entama Augustin en s'adressant finalement vers ma place, toi tu vas être mon secrétaire ok ? Tu feras les récapitulatifs des réunions, ma paperasse et si besoin tu m'accompagneras dans mes déplacements pour représenter l'association lors de réunions avec les clients, les conférences et autre.

Sa question rhétorique ne m'avait pas échappé, pas facile de supporter cette incitation à marcher dans ses pas. Pour balancer cette note déplaisante, je repensai aux propos de Jehaï et Sacha sur les avantages de cette association. Je raclai ma gorge et passai outre, en hochant la tête pour le laisser continuer. C'était de toute façon ce qu'il attendait de ma part.

— Bon, vous l'auriez compris, s'avança le président, notre objectif primaire est d'entrer en contact avec des partenaires officiels. Il nous faut de bonnes bases pour pouvoir développer de bons projets, et les financements sont très importants pour le développement. Jean-Baptiste, je compte sur toi pour donner une image irréprochable auprès du nouveau directeur, il nous le faut dans la poche celui-là. Gaspar, tu te charges de créer le visuel et l'impression de nos nouvelles affiches, en format A5 si possible. Et toi, Jenny, trouve-nous des entreprises partenaires pour financer nos futurs projets. Tu trouveras sur notre service en ligne des exemples de ce qui a déjà été fait. Le concret t'aidera forcément à mieux valoriser nos services. On se mettra, tous ensemble, d'accord sur les projets des élèves à garder.

Tous acquiescèrent à ses directives. Augustin me paraissait primaire et froid, maintenant je devais avouer que sur le management, il faisait preuve d'un grand professionnalisme, ce que je ne pouvais deviner avant de l'avoir vu à la tâche. Il rangea les feuilles de brouillon qu'il avait auparavant éparpillé sur la table. La réunion semblait toucher à sa fin, je me permis alors d'allumer mon téléphone qui vibrait discrètement. Un message de Sacha, qui me prévenait avoir pris le dernier bus scolaire. Merde. Je commençais à lui répondre mais un soupir m'arrêta. Je remis mon cellulaire dans la poche comme si de rien, même j'avais bien saisi l'agacement d'Augustin. Son discours enchaîna sur les règles et la charte de notre groupe pendant encore dix bonnes minutes.

L'association suivait des étapes tracées au préalable, avec pour but de promouvoir et mettre en place des projets informatiques portés sur l'écologie. Chacun avait un rôle bien délimité, chaque rouage importait. Finalement, le barbu se leva, suivi du reste des membres, et moi bien sûr, en dernier, qui n'avait pas instinctivement saisi la marche à suivre.

— Ce sera tout pour cette première réunion, nous félicita Augustin, merci à tous d'être venu. Et Eren, reste ici s'il te plaît, je dois mettre au clair quelques points avec toi.

Je restai à côté de mon nouveau président. Jean-Baptiste et Gaspar vinrent nous serrer la main avant de partir, Jenny nous fit la bise à tour de rôle, puis prit soin de refermer la porte de la permanence en sortant. Finalement, une des situations angoissantes que je m'étais imaginé avant d'entrer dans la salle devenait réalité. 

La porte s'était close, avec nous deux à l'intérieur. 

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