Alors j'ai essayé de me souvenir d'autre chose, et j'en ai écrit un poème. Et celui-là, je suis navrée de vous le dire, est profondément triste. Il traduit la lassitude que l'on ressent lorsqu'on pense au temps qui, sans que nous n'y puissions rien, passe, sans nous attendre, et entraine avec lui le monde qui nous entoure. Ce poème, je l'ai appelé Linéaire, et le voici.
Un pas après l'autre sur une corde raide
Ils avancent silencieux, des ombres, des cauchemars.
Ils marchent lentement, et sans demander d'aide.
Pas un ne retire les larmes de son visage blafard.
Et chaque petit pas sur cette corde fine
Saigne leur cœur encore et toujours un peu plus.
Leur imprime dans la chair une aiguille, une épine
Et sur leur pâle visage des regrets disparus.
Une foule de statues comme figées dans le temps
Qui avancent malgré lui en semblant l'oublier
Une armée d'impassibles vidés de sentiments
Qui avance malgré eux sans sembler s'en soucier
Ils ont des souvenirs qui les rongent, despotiques
Qui leur arrachent tout, l'envie ou la peur
Ce sont des créatures vides de sens, névrotiques,
Ces remembrances cruelles ne leur laisse que le cœur
Ce cœur qui ne fait pas moins d'eux des enveloppes mortes
Ce cœur sanguinolent au bord de l'implosion
Ce cœur noir en lambeaux et que le vent emporte
Qu'il tente de garder malgré tout. Qu'ont-ils d'autre sinon ?
Ne me dites rien, je le sais. J'aurai pu choisir comme sujet le muguet ou les tournesols, mais le temps qui passe inlassablement m'a paru être un sujet très inspirant. Après m'être assise dos au mur pendant des heures à regarder devant moi déprimant sur la condition humaine, je me suis à nouveau préoccupée de mon exercice.
Ainsi, j'avais un poème. Et je devais le mettre en musique. Alors je ne saurais pas expliquer si c'est la noirceur du texte ou la fatigue à ce point de mon projet, mais j'ai vraiment eu beaucoup de mal à vous composer cet air. J'ai laissé trois semaines complètes entre l'écriture du poème et celle de la musique. Je vous dis cela car c'est primordial pour comprendre quelque chose. En redécouvrant le poème pour composer, j'étais donc à 21 jours de son écriture. Je n'étais donc pas dans les mêmes dispositions et cela a évidemment joué sur la justesse de la traduction. Voici ce à quoi je suis arrivé, une composition à nouveau pour deux violons et un violoncelle.
Démarche : Là j'ai tenté quelque chose de différent. Pour les autres compositions, je faisais du vers à vers, ou bien j'écrivais des successions de phrases. Ici je suis partie de l'idée du poème ; globalement, si le sujet est le temps qui passe, il m'a semblé évident qu'il fallait le traduire sous la forme de quelque chose de très linéaire, quelque chose qui ne s'arrête jamais, et dans un ton assez sombre. D'où le tempo très lent, et les rythmes eux-mêmes peu variés et lents. La succession de noires permet ainsi de marquer le tempo, comme les secondes, idée qui est également à l'origine du fait que le tempo est 60. Une noire par seconde, jusqu'à la dernière mesure, où les instruments finissent les uns après les autres, un par temps.
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Langage universel - TERMINÉ -
Literatura faktuJe travaille depuis 6 mois sur un projet personnel qui aurait dû être un spectacle de 30 minutes sur le lien entre le langage et la musique. Malheureusement, avec la crise sanitaire, mon travail ne verra jamais une scène. Mais je ne me laisse pas ab...