EN BOUCLE - Deuxième partie

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Nous marchâmes bien trois heures à la recherche d'une issue ; en vain. Nous avions fini par comprendre qu'aucun de nous n'avait de quoi contacter l'extérieur. Éléna enchaînait les crises d'angoisse, saturant plus que nous tous. Il ne fallait pas oublier qu'elle était sous anxiolytiques et que sans ses médicaments elle perdait la boule.

Au bout d'un moment, l'air frais lui manquait tellement - comme à nous tous en soit - qu'elle tomba au sol et se mit à convulser. Elle faisait une crise d'épilepsie. C'était la première fois que j'assistais à cela. Nous étions ainsi à quatre en train de la tenir afin d'éviter à sa tête de cogner contre le sol tout en attendant que le mal passe.

Une fois qu'elle ne bougeait plus, inconsciente, nous la posâmes sur le lit tout en croisant les doigts pour qu'elle se réveille au plus vite. C'est là qu'elle se pissa dessus, imprégnant la pièce d'une odeur fétide. Carla s'énerva alors et attrapa la chaise au centre qu'elle frappa contre le mur, démembrant le meuble sans parvenir à, ne serait-ce que, fissurer le plâtre.

Elle attrapa ensuite la télévision qu'elle jeta au sol avec la commode, ravageant la salle et se blessant à la main. Nous tentâmes d'abord de la retenir avant de nous enflammer à notre tour, comme si elle nous avait transmis sa colère, et de nous mettre à retourner la chambre. Nous écrasâmes le téléviseur jusqu'à le réduire en miettes. Nous démolîmes la commode de bois dont les tiroirs étaient vides, plus est. Nous crâchames même tous au sol, comme pour insulter l'endroit, avant de tous tomber dans un coin de la chambre, recouvrant notre calme.

Quand une Éléna blême et silencieuse se réveilla, nous décidâmes de repartir. Nous passâmes au travers de plusieurs centaines de portes, ce qui détruisit tout espoir que nous avions de retrouver la sortie, avant de nous écrouler dans une pièce. Là nous pleurâmes chacune des larmes de notre corps. Éléna se remit à angoisser et Heidi tenta de la serrer dans les bras afin de l'aider à s'apaiser. Mais ce fut bientôt cette dernière qui se mit à suffoquer. Puis, notre tristesse commune se changea rapidement en une panique générale. Nous cherchions tous désespérément l'air, grattant le sol de nos ongles, nous tenant vainement la main ou fixant les visages empourprés et larmoyants des autres. Ce jusqu'à ce que cela passe au bout de ce qui nous sembla être une éternité.

Au bout de seize heures de marche d'après le chronomètre de mon téléphone, et plus de mille portes franchies, ma batterie fut à sec. Il en fut de même pour les filles. Nous étions ainsi définitivement livrés à nous-mêmes. Notre état empirait tandis qu'Éléna, sans ses médicaments, se dégradait à grande vitesse. Au bout d'un moment, elle commençait à partir d'un fou rire, les yeux écarquillés, semblable à un singe à cymbales.

- Éléna, qu'est-ce qui t'arrive ? tenta de la raisonner Heidi. Calme-toi s'il te plaît !

- Des papillons ! répondit la binoclarde. Des papillons partout ! Regardez comme ils sont jolis !

Et voilà qu'elle avait désormais des hallucinations, chose qui n'arrangeait rien à la situation. Plus encore quand elle se montra violente, au bout de trois cents salles supplémentaires. Au bout de trois cents chaises supplémentaires. Au bout de trois cents sommiers à matelas vides supplémentaires. Au bout de trois cents commodes qui ne renfermaient rien, pourvues chacune d'un vieux téléviseur mort, supplémentaires. Au bout de trois cents lectures de ces trois maudites phrases supplémentaires : N'ouvrez sous aucun prétexte. N'entrez sous aucun prétexte. Allez-vous en !

Mes yeux allaient saigner. Cela faisait au moins vingt-quatre heures qu'on était enfermés ici. Vingt-quatre putain d'heures à saturer entre quatre murs blancs ainsi qu'un éclairage qui avait de quoi nous rendre aveugles. Le tout avec une Julia Séguin qui, autrefois, menait tout le monde par le bout du nez et qui, désormais, restait silencieuse dans un coin de la pièce, le visage figé par la dépression nerveuse qu'elle faisait.

Jardin d'OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant