GORGONE - Deuxième partie

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Les voix de Lallemant et Bertand coupèrent net ; comme s'ils avaient soudainement disparu, mangés par la brume. Mais celle de la femme demeura, commençant à se rapprocher à grande vitesse. Je me tournai pour faire face à l'étrange inconnue qui émergeait du brouillard, courant dans notre direction tête baissée. Ses cheveux me paraissaient inhabituels, comme tentaculaires pardessus son visage blême dont la bouche grande ouverte à s'en décrocher la mâchoire poussait des sons aigus et torturés à la fois.

C'est à cet instant que je remarquais qu'elle était entièrement nue. Pas un seul habit ne venant l'abriter du froid de canard. Quiconque serait resté dévêtu de la sorte par cette tempête serait mort immédiatement, mais cette femme à la chevelure grotesque ne semblait pas gênée par sa condition ; se ruant dans notre direction à plus vive allure encore. Instinctivement, je l'imitais et pris mes jambes à mon cou. Je fonçais sans savoir où j'allais, les flocons pénétrant ma bouche et venant glacer le fond de ma gorge.

Les cris de mes compatriotes ne tardèrent pas à résonner à leurs tours. J'ignorais ce que cette femmes - aux dreadlocks présumais-je - leur faisait subir, mais ils hurlaient comme des bêtes que l'on gravait au fer. Suivirent ensuite des bruits de craquements solides, similaires à ceux d'un rocher que l'on écartelait avec deux chaînes. J'étais terrifié, ce lieu était maudit.

Je me pris alors quelque chose dans la jambe - qui me fit atrocement mal - et m'affalais de tout mon long dans la neige, tête la première. Je sentis les milliers de petits cristaux de glace qui pénétrèrent ma bouche. Je me retournai pour découvrir que je n'avais trébuché sur autre qu'une statue à l'effigie d'une vieille femme allongée au sol, semblant en plein infarctus. Son visage réaliste était crispé d'une centaine de rides, en paraissant reptilien. Dieu sait ce qu'elle avait pu voir pour exprimer telle horreur.

Je pus alors voir trois de mes compatriotes, dont le caporal Grange, courir. Dans leurs dos, la femme en tenue d'Eve continuait de hurler tout en se ruant sur eux, ses cheveux épais formant un voile qui masquait son visage. Les sergents Bertand, Lallemant, Marsin et Dubois semblaient s'être volatilisés. Comme s'ils avaient disparu en fumée en une fraction de seconde ; et je savais pertinemment que la hurleuse y était pour quelque chose.

Là j'assistais à une scène des plus sordides ; et probablement celle dont je me souviendrai toute ma vie. J'avais vu des gens mourir de faim sous le soleil africain, des enfants massacrés lors de génocides, le visage ensanglanté des civils innocents qui payaient des conflits politiques de leurs pays... Mais ce que je vis à cet instant précis, dans ce village montagnard français infesté de statues morbides, dépassa toute l'horreur à laquelle mes yeux avaient assisté jusque-là.

Le soldat Matias Casavan courait à toute vitesse, tentant de ne pas être rattrapé par la folle qui se trouvait juste derrière lui, hurlant à en perdre ses poumons. Sûrement avait-il enfin saisi que nous avions toujours nos armes en main et que cette cinglée était seule et nue comme un verre. Nous n'avions strictement aucune raison de la craindre ; son hurlement terrifiant se trouvant être la seule raison qui nous avait poussé à la fuir.

Il se tourna alors vers son assaillante, et braqua sur elle son HK416. Il lâcha d'un ton faussement autoritaire :

- Plus un geste !

La jeune femme s'arrêta alors et releva la tête tout en hurlant. De là où j'étais je ne pouvais toujours pas voir son visage mais il devait être réellement terrifiant pour que le dur à cuir qu'était Casavan se mette à crier comme une fillette à son tour. Mon camarade sembla alors se rigidifier de tout son long, tremblotant légèrement jusqu'à ne plus bouger d'un cil. Un long craquement fendit l'air tandis que sa peau entière se noircissait. Il ne fallut qu'une fraction de secondes pour qu'il finisse pétrifié, n'étant plus qu'une statue de pierre.

Jardin d'OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant