GORGONE - Première partie

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La neige venait s'abattre sur notre escouade dans un souffle puissant qui s'engouffrait dans nos oreilles. Nous marchions tous ensemble, armes solidement empoignées, nos Rangers de cuir s'enfonçant dans la poudreuse. Je n'avais jamais connu telle tempête depuis une mission en Alaska qui avait bien failli tous nous changer en statues de glace. On se croirait en pleine guerre froide ! avais-je même hésité à plaisanter.

La buée se formait à ma bouche tandis que je peinais à réguler mon souffle. J'étais content d'enfin voir quelques maisonnettes apparaître au travers de la brume de flocons qui nous aveuglait jusque là en dépit de nos lunettes. Cela faisait plus de cinq semaines que personne de la petite commune de St Gorail n'avait donné signe de vie. C'était le genre de petit patelin dans lequel se supportaient moins de deux milles habitants, perdu dans le massif montagneux des Alpes et quasiment coupé du reste du monde.

Une première équipe de policiers s'y était rendue après quelques plaintes extérieures mais aucun n'était revenu. Peut-être s'étaient-ils perdus dans la montagne et avaient-ils fini ensevelis par une avalanche s'ils n'étaient pas juste morts de froid en route. Or, c'était lorsque la deuxième équipe envoyée n'était pas revenu à son tour que le gouvernement avait décidé de contacter l'armée. Soit les vrais héros de la patrie : nous. Non ceux sur lesquels la nation entière crachait chaque fois qu'un manifestant se faisait refaire la mâchoire à coups de matraque.

Notre mission était simplement de faire un constat des lieux et de rédiger un rapport ; et bien évidemment de secourir les quelques rescapés s'il y en avait lieu. J'étais ainsi soulagé de voir plusieurs bâtiments et de constater que ceux-ci ne se trouvaient pas sous six mètres de neige. Chose qui nous aurait obligé à attendre le dégel le plus total - soit en été - afin de récupérer les cadavres congelés de plusieurs centaines d'habitants et de les renvoyer à leurs familles respectives. Tâche qui aurait fichu un bon coup de cafard à notre moral à tous, et je pense qu'aucun d'entre nous n'avait besoin de ça. Nous avions vu assez d'horreur jusque là pour ça.

Le petit groupe de huit bonshommes que nous étions avançait ainsi dans la ville déserte dont les bâtiments grisâtres étaient recouverts de blanc. Pas âme qui-vive ne se trouvait dans les parages, sûrement étaient-ils tous chez eux paisiblement endormis au pied de la cheminée. Or nous avions pour ordre de fouiller l'extérieur dans son entièreté avant d'aller faire du porte-à-porte. Nous devions nous assurer que tous les Goralais étaient bien sains et saufs chez eux et ô je croisais les doigts pour que ce soit le cas.

Nous déambulâmes dans les rues sinistres et hivernales quant nous tombâmes sur quelque chose de pour le moins douteux. Nous crûmes d'abord faire face à ce qui avait tout l'air d'un cimetière. Des dizaines de pierres tombales étaient là, formant un champs sépulcral à quelques mètres de nous à peine, en plein centre-ville. Les intentions de celui qui avait décidé d'enterrer des cadavres à cet emplacement précis me paraissaient douteuses. Soit les habitants de cette ville avaient de drôles de coutumes - s'ils n'étaient pas juste tous croque-morts - soit nous avions affaire à quelque chose de vraiment louche.

Ma gorge se nouait malgré mon tempérament rigide. Je m'efforçais de rester de marbre néanmoins. Après tout, je n'avais pas choisi l'armée pour me chier dans le froc face à un simple garage à cercueils. Nous étions dans un patelin isolé ; tout y était bizarre dans tous les cas. En particulier pour moi qui avais vécu en métropole toute ma vie. Les montagnards étaient tout simplement mauvais en construction et fichaient n'importe quel type d'endroit là où il y avait de la place, tout simplement. C'est quand nous réalisâmes qu'il ne s'agissait pas de pierres tombales que nous eûmes nos raisons d'avoir peur.

C'étaient des statues. Une rangée entière et disharmonieuse de statues représentant des hommes, des femmes ou des enfants et qui semblait s'étendre à l'infini. Les êtres de pierre étaient tous à moitié enfoncés dans la neige, recouverts du même givre qui les blanchissait, et tous avaient la même expression de terreur sur leurs visages. Bras tendus et bouches grandes ouvertes, on aurait dit qu'ils hurlaient ; laissant mon cerveau imaginer la mélodie macabre que constituait leurs centaines de cris d'horreur. Certains avaient une jambe devant l'autre, comme s'ils avaient cherché à fuir on-ne-sait-quoi.

Jardin d'OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant