BUTTERFLY DRINK - Première partie

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"Afin d'obtenir une boisson Butterfly Drink, veuillez suivre les instructions suivantes :

Étape n°1 : Placez-vous devant un distributeur automatique. Le rituel ne marche qu'uniquement avec les distributeurs de canettes ou de bouteilles déjà prêtes à la consommation. Tenter l'expérience sur des préleveurs automatiques ou des distributeurs non destinés à la consommation alimentaire s'avérerait inutile.

Étape n°2 : Sur le clavier de sélection, entrez les chiffres dans l'ordre qui suit : "1. 1. 9. 1. 4. 2. 9. 0." puis toquez trois fois contre la machine comme à une porte. Cette deuxième action est strictement nécessaire pour que le rituel marche. Pressez ensuite la touche de validation.

Étape n°3 : Attendez qu'une canette vous soit distribuée. Si celle-ci n'arrive pas, il est possible que le distributeur soit en arrêt ou incompatible avec le rituel. Il se peut également que vous ayé commis une erreur dans l'exécution de celui-ci. Assurez-vous d'avoir entré les bons chiffres et d'avoir suivi les consignes à la lettre.

Étape n°4 : Ouvrez la canette et savourez votre boisson."

Telles étaient les instructions du site sur lequel je venais d'atterrir. Un fond noir. Un seul logo de couleur blanche représentant un monarque en tête de page. Une écriture tout aussi uniforme et lugubre. J'avais presque envie de rire face à de pareilles calomnies.

Les rumeurs circulaient pas mal sur le net ces temps-ci : certaines entreprises créeraient des codes secrets sur les distributeurs automatiques qui permettraient d'obtenir des boissons sans avoir à insérer la moindre monnaie. Il était, selon moi, à la rigueur possible qu'un disfonctionnement puisse parfois faire distribuer des boissons ou de la nourriture non payée aux machines ; mais pourquoi des industries s'embêteraient-elles à offrir gratuitement des produits aux gens ?

Certes, il existait des personnes dans le besoin. Des sans-abris par exemple. Or, si de telles astuces étaient divulguées au grand public, tout le monde en profiterait, y compris la classe aisée. Ainsi l'initiative perdrait tout son sens. Je devais encore être tombé sur une énième désinformation destinée à faire de faux espoirs aux imbéciles.

D'autant plus que le terme rituel ainsi que le passage qui parlait de toquer contre le distributeur me donnaient plus envie de rire qu'autre chose. Et pourquoi ne pas faire la danse de la pluie pour faire cracher des bonbons à ces bons vieux tas de ferraille dévoreurs de pièces jaunes tant qu'on y était ? C'était complètement ridicule.

Or, je me trouvais à la gare, seul sur un banc, attendant mon train, traînant sur le net afin de combler l'ennui ; et il y avait un distributeur automatique dans un coin, à ma droite. Personne ne se trouvait dans les parages, comme si la vieille caisse crépitante me faisait office de compagnie. Je sentais les vibrations qu'elle émettait tandis que sa lumière interne clignotait légèrement. On aurait dit qu'elle respirait lourdement tout en battant des paupières, qu'elle grelottait même de froid.

Alors, pris d'une candeur inavouée, je me levais et avançais vers l'imposant monstre métallique. C'était l'un de ces gros distributeurs qu'on ne trouvait que dans les gares ou les aéroports. Ceux qui dévalisaient les portemonnaies en échange de minuscules paquets de bonbons ou de sodas à l'orange buvables d'une traite. Le genre à vous dépouiller plus vite qu'un pickpocket cleptomane dans un métro.

Comme dit plus tôt, j'étais seul dans cet endroit lugubre et animé uniquement par le souffle du vent. Personne n'était là pour m'épier ou me juger à l'exception de moi-même. J'aurais même pu me mettre à courir nu le long du quai en poussant de petits aboiements, le lieu était totalement désert ; comme si tous les humains du monde avaient temporairement été rangés dans un tiroir cosmique. Ne laissant plus que moi et ce bon vieux distributeur comme seuls habitants terrestres.

Jardin d'OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant