Deux semaines plus tard, j'en suis encore à prier pour un miracle. Mais il ne s'en produit jamais à UCLA. Tout ce qu'on y trouve, ce sont des professeurs à la mine sombre, des élèves déchaînés et des cours incompréhensibles.
Ce n'est pas un campus, c'est un zoo peuplé d'animaux sauvages. Les premiers jours, ils m'ont dévisagée avec curiosité comme si j'étais une nouvelle attraction.
Moi qui pensais être bonne en anglais, j'avais tort. Au début je ne comprenais rien. J'étais perdue dans cet ouragan de mots qui me donnaient mal à la tête. Depuis, je me suis habituée à l'accent, mais c'est trop tard. Plus personne ne s'intéresse à moi. La plupart du temps je reste seule dans mon coin. J'ai renoncé à essayer de communiquer, lassée que les professeurs soupirent ou que mes camarades haussent le ton quand je leur demande de répéter.
Dans ces cas-là, mieux vaut se taire. Les adultes oublient ma présence, et les élèves se comportent comme si j'étais non seulement muette, mais sourde. Parfois je regrette que ce ne soit pas le cas. - Ça doit être dur de s'installer dans un pays dont on ne parle pas la langue. Elle me fait de la peine... - En même temps, elle pourrait faire un effort. Qu'est-ce qu'elle fiche ici si elle refuse d'apprendre ? Comme dit mon père, il y en a marre de tous ces immigrés de l'Europe qui viennent nous voler notre boulot et nos maisons... - Tu parles, la plupart vivent des allocations. Ils n'ont pas envie de se fatiguer... - Elle a l'air terrifiée. On ne va pas la manger, non plus ! - Moi ça me tenterait, elle est plutôt appétissante... hé, viens t'assoir près de moi, je vais te donner des cours d'anglais !
Je préférais encore ne pas comprendre.
Hier j'ai appris qu'il n'y avait pas d'uniforme dans notre campus. Voilà au moins un point positif. Je décide alors de m'habiller normalement 👇🏻
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En EC, les élèves s'envoient des avions en papier dès que la prof a le dos tourné. EC signifie Éducation Civique. Au début, je ne voyais pas l'intérêt: on n'a pas besoin de cours pour être bien élevé. Mais après deux semaines a UCLA, je commence a comprendre qu'ici, ce n'est pas du luxe. (Nda : en vrai UCLA je sais que c'est hyper bien réputé, mais c'est le seul campus que j'ai trouvé à Los Angeles.)
Mme Matthews note le sujet du jour au tableau : « La pire journée de ma vie ». Je pourrais choisir n'importe quel jour des deux dernières semaines. Sans m'en rendre compte, j'ai ouvert mon cahier d'exercices. Mon stylo se met à courir sur la page blanche. Les mots jaillissent tout seuls, évoquant ma première journée au collège, mes espoirs et mes rêves tombés en poussière dans les couloirs gris, les élèves qui m'encerclaient comme une meute de loups affamés prêts a se jeter sur moi...
Mme Matthews : Y a-t-il un volontaire qui souhaiterait lire son travail à la classe ?
Le silence est assourdissant. Pas étonnant : écrire ses pensées les plus sincères pour les lire à voix haute, et puis quoi encore ? La plupart préféreraient sans doute se faire arracher une dent sans anesthésie.
Mme Matthews : Allons ne soyez pas timides (don't be shy put some more 😂) Qui veut commencer ?
Amélie Zilber bâille à s'en décrocher la mâchoire.
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Mme Matthews semble nerveuse.
Mme Matthews : Kouvr ? Josh ? Ryland ?
Aucune réaction.
Il y a peu de risques qu'elle m'interroge. Les profs ne me posent jamais de questions.
Mme Matthews : Nick, peut-être ?
Ah oui je ne vous ai pas dis mais ce Nick là c'est bien le pote de mon frère que j'ai rencontré dès mon premier jour à Los Angeles, il est dans ma classe mais fait comme si il ne me connaissait pas.
Nick : sûrement pas.
Mme Matthews : Il faut bien que quelqu'un se lance, Nick. S'il te plaît... tu m'as paru très inspiré.
Nick soupire. Il prend son cahier, arrache les pages qu'il vient de remplir et les déchire en deux, puis encore en deux, et ainsi de suite, jusqu'à obtenir un tas de confettis. Le message est clair.
Mme Matthews : Nick Austin ! Tu ne peux pas... ce cahier t'as été fourni par l'établissement !
Nick hausse les épaules. Horrifiée, je vois Amélie lui tendre un briquet. Nick l'allume et la pile de papier s'enflamme dans un nuage de fumée. Puis il attrape son sac à dos et sort de la classe sans se retourner.
Aussitôt c'est la panique : les filles poussent des cris aigus, les garçons ricanent, et tout le monde se réfugie le plus loin possible du feu. Mme Matthews est au bord des larmes. Elle attrape l'extincteur fixé au mur et vaporise un jet de mousse blanche sur la table de Nick.
C'est alors que l'alarme incendie se déclenche.
La pire journée de sa vie, Mme Matthews est sans doute en train de la vivre.
