Les lilas sont blêmes

64 5 4
                                    

Cette année, les lilas sont blêmes. Ils nous regardent, incrédules, apeurés.

Et ils tremblent. Le vent de nos folies se venge sur leurs délicates branches. Qui penchent. Et les fleurs, témoins de ces misères, blêmissent sous un soleil qui ne sait plus quand vient le mois de mai.

Cette année, les lilas sont fades. Pourtant, leur parfum délicat répand l'extase d'une beauté oubliée, disparue.

Dehors, je sens l'arôme exquis, soudain masqué par de la fumée, soudain trahi par le vacarme assourdissant des voitures. Je les regarde, ces pauvres lilas ternes, pâles, tristes. Je me rappelle la maison de mes grands-parents, cette demeure où si souvent j'allais faire le plein de bonheur. Je revois les lilas, au devant. Ces lilas que mon grand-père taillait chaque année, ces lilas que j'aimais tant sentir, plongeant mon nez parmi les petites fleurs odorantes. Des lilas joyeux. Puis, les tristes lilas alors cachés par de hautes toitures, la tendre odeur masquée par celle des ordures urbaines, je reviens parmi les rues désertées et froides. Mes grands-parents, eux, ne peuvent plus sortir dehors et profiter de la beauté qui s'infiltre, malgré tout, parmi les blocs de béton de la résidence qu'ils habitent désormais. Ils ont un beau chez-soi, mais aujourd'hui, ils en sont prisonniers. Et ils n'ont plus de lilas.

Ici et là, quelques plants resplendissent d'une teinte prononcée et vibrante. Cachés, se recouvrant tantôt d'ombre, tantôt de lumière, ils se veulent source de réminiscences pour l'humanité endormie.

Et elle dort profondément, cette humanité. Somnambule, elle tend les bras vers les lilas. D'une main, elle quête leur essence suave, leur sereine beauté. Mais l'autre semble animée d'une haine profonde, prête à étrangler la moindre trace de fleur.

Cette année, les lilas pleurent notre insouciance. Ils sont blêmes, car ils savent. Ils savent, eux, quelles horreurs nous commettons, quels désastres nous provoquerons.

Je les entends murmurer au sol, quand leurs petites fleurs fanées tombent. Ce qu'ils disent à la Terre, je ne puis le comprendre. La nature, elle aussi, sait. Ils nous parlent, mais nous n'écoutons plus. Et quand nous écoutons, nous ne comprenons plus. Et pourtant blêmes, les lilas sentent bon. Mais où est-il donc, nous, notre parfum?

Cette année, les lilas sont malades. Nous aussi.

Cette année, j'ai mal aux lilas.

Mots contre mauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant