Illuminé :

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Il était assis au bord du vide. Ses pieds pendaient et se balançaient ici et là. Il contemplait le monde en ruine et cela le faisait bien rire. Au loin, ce qui restait des anciennes villes ressemblait maintenant à des décharges à ciel ouvert. Et des hommes, tel des rats, fouillaient, cherchant désespérément des souvenirs d'antan. Des objets quelconques, qui, à peine trouvés, se retrouvaient fourrés dans les poches de leur manteau usés. Des objets qui des décennies plus tard diront : "j'étais là".
Lui les regardait faire, souriant tel un artiste fou qui contemplerait son œuvre d'art. Tel Néron devant Rome enflammée. De loin, c'est d'ailleurs de quoi il avait l'air. D'un fou. Un illuminé que l'apocalypse rendrait euphorique. Si seulement ils savaient. S'il savait ce que lui savait, sans doute riraient-ils aussi. Mais voilà, lui personne ne l'écoutait. Il pouvait rire à s'en décrocher la mâchoire, rire à en mourir, les gens ne l'apercevraient même pas. Ils étaient trop occupés à chercher des misérables bribes de savoir auxquelles se raccrocher. A quoi bon. Ils étaient condamnés, comme lui. Alors autant rigoler, se disait-il. Ironie du sort, cela n'avait pas toujours été son cas. Avant il était de ceux qui préféraient admettre la triste réalité plutôt que de trouver un sens à celle-ci. Mais c'était avant. Avant la nuit.

Ce jour là, les étoiles se sont éteintes. Voilà comment tout a commencé.
Ce jour là, les étoiles se sont éteintes. D'un coup, sans que nul ne s'y attende. Une étoile est tombée. Puis une autre. Au début, on aurait dit une pluie d'étoile filante. C'était beau, majestueux. La Terre entière pendant un instant s'arrêta. Le monde leva les yeux, apercevant sans doute pour la première fois l'immensité qui se dressait autour de lui. L'humanité retint son souffle. Mais après, ce fut la panique. Les étoiles tombaient à toute allure, les unes après les autres dans un concert de flamme. Les lumières se mélangeaient et la Terre, minuscule arche de vie, semblait comme une étrangère dans ce funeste ballet. C'était la nuit et pourtant on y voyait mieux qu'en plein jour. "Un miracle" diraient certains. "La fureur des dieux" diraient d'autres. Pour lui, rien de tout ça. Les étoiles tombaient, et il restait là, immobile, dans sa rue, le nez vers le ciel. La beauté lui coupait le souffle. Cette beauté l'envahissait tout entier, le remplissait comme jamais, il se sentait entier avec elle, enfin. Et pour la première fois depuis des lustres, aux milieux des cris sourds de chacun, il se mit à rire. D'un rire si pur qu'il semblait impossible qu'il sorte de ce corps vieux et courbé par le poids de la monotonie. C'était le rire d'un enfant émerveillé devant un magasin décoré aux alentours de Noël. Autour tout s'écroulait, mais qu'importe ! Il riait, il riait à gorge déployée, la tête levée, les bras ouverts. Ce corps habitué à se courber devant tant d'hommes, se redressait devant ce ciel. Il remplissait l'espace à lui seul, et les gens qui l'entouraient se sentaient obligés de le contempler. Un illuminé, voilà ce qu'ils pensaient tous de lui. Mais c'était à peine s'il se rendait compte de leur présence. Ce jour là, les étoiles se sont éteintes et le ciel se mit à pleurer.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 16, 2020 ⏰

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