Mort

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Des quatre cavaliers de l'Apocalypse, c'était probablement le pire.

De nombreuses personnes n'avaient jamais connu la Guerre. Avaient eu la chance d'échapper à la Famine. Et, même si c'était de plus en plus rare, il existait encore des lieux épargnés par la Pollution. Mais la Mort avait ceci de terrible qu'elle était inéluctable. Vous pouviez être jeune, vieux, Blanc, Noir, bienveillant, criminel, heureux, dépressif, la Mort pouvait vous cueillir n'importe quand, sans que vous l'ayez prévu.

Même les autres cavaliers la craignaient. Car, tous cavaliers qu'ils étaient, ils avaient conscience que quand l'Apocalypse arriverait, eux non plus ne seraient plus immortels. Pestilence en avait d'ailleurs fait les frais lors de son remplacement par Pollution. Mais ils évitaient d'en parler entre eux. Ce n'était pas officiellement un tabou mais... Ça l'était quand même.

Les anges et les démons aussi avaient peur la Mort, évidemment. Elle faisait partie de ceux qui déclencheraient la fin du monde après tout. Peur était peut-être un mot un peu fort mais ils avaient, comme qui dirait, une légère appréhension. En bref, ils évitaient de croiser son chemin.

Mais tout le monde savait depuis longtemps qu'Aziraphale n'était pas un ange comme les autres...

Aziraphale et la Mort s'étaient rencontrés aux débuts de l'Antiquité. La Mort avait un quota d'âmes à ramener, et malheureusement l'une de ses cibles du jour lui avait échappé. Aziraphale lui, découvrait la colère après avoir vu un homme que le pouvoir rendait intouchable frapper presque à mort sa femme et sa fille.

Ça n'avait donc été en somme un échange de bons procédés. Deux êtres non-humains qui se croisent par hasard, et l'un qui propose à l'autre une nouvelle cible. Peut-être même que ce petit arrangement faisait partie du plan ineffable, qui sait ? Impossible de savoir, le plan était ineffable justement.

Mais quelques années plus tard, la Mort se sentait toujours un peu redevable envers ce drôle d'ange qui lui avait offert son aide sans rien demander en retour. Alors il l'observa, de loin. Il le vit croiser plusieurs fois "par hasard" un démon aux cheveux roux, mais ne prévint personne. Ce n'était pas son rôle.

Il le vit jouer les mécènes auprès de philosophes divers et variés, encourageant les scientifiques, les artistes, les écrivains... Surtout les écrivains. L'ange semblait vraiment fasciné par les livres. C'est ce qui avait donné son idée à la Mort. Idée qui s'était concrétisée avec l'incendie de la grande bibliothèque d'Alexandrie.

L'incident avait réellement anéanti Aziraphale. Tant de livres rares, tant de savoir, tant de travail acharné parti en fumée... C'est de là que lui était venue l'idée d'ouvrir sa propre librairie. Il s'était mis en tête de veiller personnellement sur un maximum de livres, des premières éditions de préférence, pour éviter un nouvel accident de ce genre.

C'est ainsi que, quelques décennies plus tard, ouvrait à Soho une petite librairie de livres rares, tenue par un libraire tout à fait charmant, bien qu'étrangement peu disposé à vendre ses ouvrages.

Libraire qui trouva un soir devant sa porte, juste à l'heure de la fermeture, la Mort en personne. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'Aziraphale était surpris. Ça faisait bien plusieurs siècles qu'il n'avait pas vu le cavalier de l'Apocalypse. Il pensait ne jamais le revoir en fait. Intrigué, il le fit quand même entrer.

La Mort s'avança jusqu'à la table au centre de la pièce, et déposa, sorti d'on ne sait où, toute une ribambelle de livres, bien plus qu'un humain n'aurait pu en porter. Aziraphale, les yeux pétillants, s'approcha pour en feuilleter quelques uns. Et sembla frappé de stupeur.

- Oh Seigneur... Je reconnaîtrais ces ouvrages n'importe où. Il viennent de la grande bibliothèque... Mais... Mais comment ? Et pourquoi ?

La Mort se contenta d'un léger haussement d'épaules. Il s'était simplement introduit au milieu des flammes, ne craignant pas d'être décorporé, et avait récupéré tous les ouvrages que les flammes n'avaient pas encore atteint.

- Maintenant nous sommes quittes.

Aziraphale lui offrit un sourire d'une sincérité désarmante. En rendant service à la Mort il n'avait jamais rien espéré en retour, mais hors de question de refuser un cadeau aussi inestimable.

- Je vais les garder précieusement. Merci beaucoup.

La Mort fit volte face, son grand manteau flottant un instant derrière lui.

- On se reverra à la fin du monde ange Aziraphale.

Le libraire hocha la tête et lança d'un ton un peu hésitant au moment où le cavalier passait la porte.

- Bonne chevauchée !

La porte de la librairie se referma d'elle même et une moto démarra à l'extérieur. Aziraphale regarda autour de lui, sourit à nouveau, et entreprit de faire une place à ses nouveaux ouvrages...

A Nightingale Sang In Berkeley Square (OS Good Omens)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant