Métissée est notre famille
Mitigés sont les jugements dans leurs pupilles☆
C'est vrai que la smala qu'on formait était un étrange arrangement : un père arabe né en France et une mère française né dans une cité, le caramel et la vanille mélangés pour donner un dessert en plusieurs boules de glace.
L'aînée châtain-blond première de sa classe, c'était Sofia. Elle était un peu comme une deuxième maman pour mes petites sœurs, et aussi mon adversaire de toujours.
Le petit rebeu surdoué, c'était moi, Mehdi. J'étais un garçon hypersensible, paraît-il, et un peu agité.
La petite brune à la peau mate et au rire aveuglant de bonheur, c'était Leïla. Jamais elle ne semblait ressentir autre chose que de la joie pure et dure.
Et puis la petite timide, blonde comme la lune et pâle comme un cachet d'aspirine, c'était Amira.On formait comme une grande mosaïque colorée, et souvent on nous demandait si cette mosaïque était une famille recomposée. Nous avions tous les mêmes parents et ça nous faisait marrer quand les gens se noyaient dans leurs excuses après la méprise.
Nous habitions à la campagne. Les vaches alentour n'avaient jamais vu d'Arabes avant nous et à vrai dire j'étais presque dans le même cas qu'elles. Ce n'est qu'une fois qu'on a déménagé vers la ville que je me suis rendu compte qu'on pouvait être comme les autres tout en ayant ma tête.
Parfois il m'arrivait d'envier ma grande sœur. Sofia ne ressemblait pas du tout à une Maghrébine. Elle avait - et elle a toujours - des traits occidentaux, et ressemblait à ma mère comme deux gouttes d'eau.
Elle pouvait passer inaperçue dans une foule d'enfants français. Il lui suffisait de cacher son prénom pour se faire complètement accepter comme l'une des leurs.
Pourtant c'est bien plus tard, à l'adolescence, que je me suis rendu compte que Sofia souffrait un peu de cette contradiction qu'elle portait en elle. Française ? Algérienne ? Il fallait accepter ces deux identités quand la société ne le faisait pas correctement.
Bref, chacun avait ses petits problèmes.
Pendant que ma sœur se cherchait une identité, moi je galérais à l'école...Ce jour-là, Sofia avait regardé une énième fois mon bulletin scolaire, j'étais alors un petit gamin qui allait au collège public. Assis sans bouger dans la cuisine, je comptais les carrés blancs du mur en face de moi.
— Pourquoi est-ce qu'il a de si mauvaises appréciations ?
Maman a soupiré. Elle avait été présente au conseil de classe, donc elle était bien au courant de l'affaire.
— Je ne comprends pas moi-même. Les profs ont encouragé de plus mauvais élèves que lui. Et d'après ce que j'ai entendu, ton frère n'est pas un élément perturbateur...
Sofia fronçait les sourcils.
— Pourtant il n'y a que du négatif dans ce bulletin...
"Manque de sérieux", "baisse de la concentration", "travail hétérogène", et bien d'autres. Seul le professeur de sport m'encourageait à continuer mes efforts.
"Très bonne implication, continuez ainsi."
Moi j'aimais bien le sport, alors j'étais content. Je regardais ma mère et ma sœur depuis mon tabouret, elles n'avaient pas l'air de voir le côté positif.
— Victor par exemple, continua maman, c'est celui qui a lancé un pétard dans la salle d'histoire-géo à la rentrée. Il a seulement huit sur vingt de moyenne générale, mais tout le monde s'est entendu pour dire qu'il était sur la bonne voie...
C'est vrai, Victor était vraiment un cancre. Mais entre lui et moi, c'était certainement lui qui était le plus soutenu par les adultes. C'était dépitant pour ma famille, mais on ne pouvait en conclure à rien, disait ma sœur. La poignée de la porte se tourna et quelqu'un fit son entrée dans le petit appartement.
— Je suis rentré ! annonça mon père Abdel.
— Papa !
Deux petites têtes, une blonde et une brune, se précipitèrent dans ses bras. Quand il rentrait du travail, papa était toujours très fatigué. Conduire des camions pendant plusieurs heures n'était pas très bon pour le dos, disait-il. Souvent il se plaignait et clamait vouloir démissionner, mais que trouver un autre travail, après avoir sué sang et eau à obtenir celui-là, allait le tuer pour de bon. Il préférait ça plutôt que le chômage.
— Amira, Leila, j'ai une surprise pour vous, avait-il annoncé avec un clin d'œil.
Il sortit de sa poche un paquet de bonbons colorés. Des bonbons halal, on en achetait que rarement. Mes sœurs avaient sauté de joie et moi je m'étais aussi réjoui en silence.
— Alors, quoi de neuf ici ? demanda le père en embrassant le front de sa fille aînée et de sa femme.
— On a reçu le bulletin de Mehdi.
— Oh, super, et comment il est ?
— Ses notes sont bien. Même si elles ont un peu baissé ce trimestre, ce n'est pas ça qui m'embête le plus. Lis les commentaires des profs.
Elle lui tendit la feuille et le regard de mon père se perdit entre les lignes. Il me jeta ce fameux coup d'œil mi-sévère, mi-compréhensif, et je savais qu'il serait obligé de me refaire ce satané discours que j'entendais si souvent...
"Mon fils, tu dois être irréprochable. Ou alors tu finiras comme moi à mendier pour un travail ingrat."
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LE CHANT DU COU(s)COU(s)
Short Story- Papa, j'aime pas trop la France. C'est quand qu'on part au bled ? Parce que les enfants peuvent dire tout haut ce qui ne va pas autour d'eux, mais que personne ne les écoute jamais. | histoire basée sur des faits réels |