☾ sofia {partie 1}

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{ Ma sœur, ça a toujours été un caméléon. Tête de vanille, cœur de caramel, elle savait s'intégrer avec tous les parfums de glace. Du coup vous imaginez bien qu'elle était aux premières loges pour voir tout ce qui n'allait pas. Un peu comme un agent double, elle observait, s'intégrait, se désintégrait et mélangeait ses saveurs à la touillette. }

Ière anecdote - « perdu d'avance ? »

"— J'ai jamais vu une maghrébine bien travailler à l'école."

Sofia n'en avait pas cru ses oreilles. C'était Farid, un élève d'une autre classe qui lui avait dit ça en salle d'étude après qu'elle lui ait révélé ses origines algériennes.

Farid, c'était le cliché sur pattes en survêt' Lacoste. Mais ça avait quand même choqué Sofia, qui avait passé les dix dernières années de sa vie à apprendre militairement la grammaire et le calcul avec sa mère. Toutes les notes excellentes qu'elle avait décroché, les 20/20 qui ornaient son dossier scolaire, tout ça était donc contre-nature ?

Le garçon agissait comme si tous les autres maghrébins ne travaillaient obligatoirement pas à l'école. Elle ne savait pas trop, il n'y avait pas beaucoup de rebeus dans son collège. 

Les arabes sont des cancres. Bon, ça ressemblait fort à un cliché. Mais le drame venait dans le fait que si tout le monde pensait comme ça, même les concernés, le cliché pouvait bien devenir une réalité. C'est ce jour-là qu'elle avait pris conscience qu'il lui faudrait continuer à contredire ce que tout le monde semblait croire, même si ça devait finir par l'isoler des autres ou par faire parler les rageux.

IIe anecdote - « le surimi c'est même pas bon d'abord »

Cet été-là, maman nous avait envoyés au camping avec la maison de jeune. 

Ma sœur faisait partie des gamins les plus âgés, et moi j'étais dans l'âge moyen du groupe. Pendant ces trois jours de campement, on était presque jamais ensemble. Elle restait avec un groupe de filles toutes plus jeunes qu'elle, et je restais avec les quelques garçons que je connaissais du collège.

À midi, les animateurs avaient prévu deux menus différents. Un avec de la viande et l'autre composé de surimi en sachet pour tous ceux -et on était pas mal nombreux- qui ne pouvaient pas manger de viande. Ils avaient servi les plus petits d'abord, donc j'étais déjà servi et en train de manger lorsque cette scène s'est déroulée.

— Du surimi s'il vous plaît, demanda ma sœur.

— Non, pour toi ce sera des merguez.

— Quoi ? Mais... je ne mange pas de viande ! avait-elle protesté.

— Tu mens.

"Tu mens" ? Elle n'en revenait pas. Comment cette femme osait-elle lui dire ça ? Parce que Sofia ne ressemblait pas à une Arabe, elle ne pouvait pas pratiquer sa religion et manger halal ?

— Euh... même si on ne dirait pas, je suis musulmane, madame. Si vous avez des doutes vous n'avez qu'à demander à mes parents.

Elle ne savait même pas pourquoi elle se donnait la peine de se justifier. Beaucoup confondaient l'origine ethnique et l'appartenance religieuse, et c'était souvent cause d'amalgames très graves. Souvent même, elle apprenait aux gens qu'un Arabe n'était pas forcément musulman, et un musulman pas forcément arabe. Il fallait se rendre à l'évidence, la logique n'était pas une maladie universelle. 

C'est Sherine, une fille de son groupe, qui lui est venue en aide.

— C'est vrai, madame, Sofia ne mange vraiment pas de viande.

Avec un regard suspicieux, la femme - que nous surnommerons "la sorcière" comme l'a fait ma sœur par la suite, - lui a servi du surimi sans dire un mot de plus. Sofia ne l'a évidemment pas remercié et est allée s'asseoir, un peu énervée.

LE CHANT DU COU(s)COU(s) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant