« Ce sont les mêmes hypocrites qui nous parlent de diversité
Qui expriment le racisme sous couvert de laïcité
Rêvent d'un français unique, avec une seule identité
S'acharnent à discriminer, les mêmes minorités »
[...]
☆
En primaire, je me souviens d'un événement qui m'avait marqué. Un événement un peu bizarre et qui se perd dans ma mémoire vaporeuse comme une bouteille de shampoing au milieu de la buée mentholée d'un hammam.
— Qui a volé ma trousse ? C'est pas drôle ! se plaignait Clara.
Clara c'était la petite intello de la classe, même plus tard au collège elle était celle du genre à demander les notes des gens juste pour pouvoir clamer la sienne en retour. Ce jour-là, Clara avait baladé son regard suspicieux sur toute la classe, puis s'était attardée juste sur moi.
— Allez rend-la moi.
— Quoi ? C'est pas moi.
Étant hypersensible, je prenais toutes les accusations très à cœur. Léo avait ri au fond de la classe.
— Tu l'accuses parce que c'est un Arabe, c'est ça ?
— Pas du tout, s'était énervée Clara. Juste parce qu'il est assis derrière moi.
— J'suis sûr que c'est pour ça.
— Mais non !
— Si tu t'énerves, ça veut dire que c'est vrai.
— Tais-toi, Léo !
Moi je restais cloîtré dans mon silence, c'était comme si mon cerveau avait du mal à intégrer ce flot d'informations et laissait tout couler à la surface de ses méninges.
— Elle est là ta gomme, tu l'as fait tomber par terre, avait alors dit Pierre, mettant fin à la dispute.
— Oh oui. Merci.
Clara s'était penchée, avait ramassé son objet, puis s'était simplement retournée, sans un regard de plus vers le fond.
Je ne m'attendais pas des excuses, non. Juste des explications. Pourquoi avait-on insinué que j'étais un voleur seulement en jugeant mes origines ? « Les Arabes sont des voleurs », pourquoi ? Comment ? Qui a décrété ça ? Je connaissais beaucoup d'Arabes - la moitié de ma famille n'était composée que de ça - et il n'y avait à ma connaissance aucun voleur. Mon père était arabe lui-même, et il m'avait justement appris que le vol, c'était pas bien.
Bref tout cela est sans importance, tous les clichés quels qu'ils soient sont complètement infondés, de toute façon. Le truc c'est que je n'ai pas eu la force de contredire mes camarades, et que je m'en suis un peu voulu pour ça...
Parce qu'aux clichés je ne voulais pas croire. Pourtant quand on te balance un tas de préjugés sous le nez pendant des années, que ce soit à la télé ou à l'école, tu finis parfois par y adhérer malgré tout.
Jusqu'au lycée, mes notes ont chuté. Chuté jusqu'au sol. Jusqu'à ce que mon avenir soit mis en péril. Avec toute cette pression, je me suis senti obligé de ressembler à ce qu'on attendait de moi. Un arabe qui n'a pas de bonnes notes, un arabe qui écoute du rap, un arabe qui traîne au city en survêt et qui fait des bêtises pour paraître "stylé". Je voulais enterrer ce petit garçon intelligent que ma mère avait toujours voulu que je sois, ou du moins je ne voulais plus qu'on le voie en public.
Je m'étais habitué à être vu comme une racaille d'arabe, même lorsque je ne répondais pas à ces critères. Rentrer enfin dans les codes était une façon de me protéger, en quelques sortes.
Un arabe qui travaillait à l'école, qui n'insultait pas, qui ne rackettait pas, c'était une tapette. J'avais bien failli être harcelé, mais ceux qui s'en étaient pris à moi avaient vite compris qu'ils n'avaient aucune chance. Parce que je rendais les coups, et que je savais me défendre. Donner des coups de genou et des balayettes était devenu mon sport quotidien... Mais je faisais quand même attention à ne pas me faire prendre.
Il n'y avait pas que moi qui me battais pour mon honneur. Il y avait aussi Etelle, un Ivoirien peu habitué aux milieux de bourges comme l'était un peu le collège. Avec Etelle on s'est tout de suite bien entendu, peut-être parce qu'on se ressemblait un peu, au fond. On n'avait pas la gueule passe-partout, surtout lui dont la peau était plus noire que mon sac de cours. Nos ancêtres se sont aussi fait zigouiller par la France il y a longtemps, et aujourd'hui, nous étions tous les deux des enfants de ce même pays.
Arabes et noirs, côte à côte sur les rambardes des terrains de foot, c'était ce qu'ils appelaient à la télé "le repli communautaire".
Nous c'était juste ce qu'on appelait "un bon aprèm ensoleillé loin de la haine et du mépris"...
[...]
« Vous nous traitez comme des moins que rien sur vos chaînes publiques
Et vous attendez de nous qu'on s'écrie "vive la République!"
Mon respect s'fait violer au pays dit des Droits de l'Homme
Difficile de se sentir Français sans le syndrome de Stockholm »
"Lettre à la République", Kery James
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LE CHANT DU COU(s)COU(s)
Short Story- Papa, j'aime pas trop la France. C'est quand qu'on part au bled ? Parce que les enfants peuvent dire tout haut ce qui ne va pas autour d'eux, mais que personne ne les écoute jamais. | histoire basée sur des faits réels |