Rêve(s)

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Le professeur se réveilla en sursaut au beau milieu de la nuit. Il avait rêvé de cette plage, encore et encore, de la sensation de mourir qu'il avait ressentie puis de sa propre douleur, tant physique que morale. Il avait l'impression de revoir chaque nuit la même scène, du moins quand il parvenait à dormir, mais d'une manière différente. Tantôt obnubilé par tel détail, parfois d'un point de vue différent, mais encore et toujours cette même plage, sous le soleil brûlant de Cuba.

Charles se releva tant bien que mal, s'appuyant sur une main et se tenant la tête de l'autre et s'apprêta à sortir de son lit pour s'aérer les idées avant de s'arrêter en dégageant ses draps d'un coup. Réprimant une grimace, il détourna le regard de ses jambes et ferma les yeux en étouffant un juron. Face à ses élèves, au monde l'entourant, il faisait bonne figure et donnait l'exemple, participant ainsi à la mise en confiance des jeunes mutants envers eux-mêmes, mais une fois seul, il n'était pas rare que ses yeux s'emplissent de souffrance et d'amertume humides envers son handicap. La vue désormais brouillée il tâtonna les reliefs de sa commode pour attraper les bords de son fauteuil qu'il repoussa dans un geste maladroit. Tous ses muscles tendus, il essaya de se redresser pour le saisir à nouveau, mais, entraîné par son poids, le professeur heurta le bord du meuble et roula au bas de son lit.

Assis par terre, en face de son fauteuil qui semblait le narguer d'un air hautain, Charles tremblait de tous ses membres et fut secoué de spasmes lorsque ses premières larmes roulèrent sur ses joues. Il avait l'impression d'avoir tout perdu. D'abord ses jambes qui ne lui répondaient plus, puis sa mutation qui le faisait désormais plus souffrir qu'il n'avait jamais voulu l'admettre, sa presque sœur, Raven, qui était partie loin de lui et de son foyer, et Erik. Il était parti, n'avait plus donné de nouvelles et semblait passer tout son temps coiffé de son casque, bloquant toute tentative du télépathe pour le retrouver. Charles avait essayé tant de fois, restant jusqu'à plusieurs heures dans le nouveau Cerebro que Hank lui avait construit en un temps record, ressortant épuisé et souvent en larmes à l'issue de ses séances intensives. Combien de fois le fauve avait dû le tirer de force pour le sortir de cet endroit, combien de fois avait-il enduré milles souffrances pour essayer de retrouver Magneto, combien de fois s'était-il retrouvé comme à cet instant, la nuit, voulant à tout prix recontacter son « ami ». Mais il avait beau essayer, ses recherches et ses appels étaient restés infructueux, seul le silence daignant répondre présent lorsqu'Erik désertait.

Il donna un faible coup rageur sur sa cuisse inerte et se saisit de ses dernières forces pour se hisser sur son fauteuil froid comme l'acier. Essuyant rapidement ses yeux rougis, Charles attrapa une couverture et sortit dans le couloir désert, non sans avoir vérifié que personne ne se baladait dans le manoir à cette heure. Il avait abandonné depuis quelques temps le Cerebro, mais ses réflexes le guidèrent néanmoins jusqu'à l'ascenseur qui menait au sous-sol, qu'il dépassa quelques instants plus tard pour se rendre dans le parc. Une jeune mutante admise à l'école lui avait appris à calmer son esprit dans des moments comme celui-là. La petite fille, si jeune, pouvait percevoir les rêves d'autres personnes, mutantes ou non, mais ne savait pas contrôler son pouvoir. Alors, lorsqu'elle se réveillait après avoir vu la plus grande peur de quelqu'un, ou ressentit un panel d'émotions négatives, elle essayait simplement de se souvenir de son rêve, dans les moindres détails, et ainsi comprendre ce que signifiait le rêve de la personne avec laquelle elle s'était connectée. La guerre, l'amour, la peur, la joie, la souffrance, la tendresse, cette petite en voyait au moins autant que le professeur et avait su lui montrer une autre façon de maîtriser les émotions qui n'étaient pas les siennes.

Charles posa la couverture sur ses jambes et s'avança au milieu du parc, baigné par la clarté de la lune. Il ferma les yeux et se concentra, laissant revenir les souvenirs de son rêve à lui pour lui permettre d'évacuer ce trop plein d'émotions qui l'assaillait. Il remontait le temps, voyait l'avion pris dans la tornade, puis le sable chaud de la plage, une vague silhouette puis un détail l'attira. Son rêve avait pris une tournure différente des autres fois. Il voyait l'intérieur du sous-marin. La chambre de cristal, dans laquelle il n'avait pu aller, une douleur dans le dos, puis le regard perçant du mutant. A la vue de ses yeux, il avait ressenti une rage et une souffrance sans nom mais néanmoins contrôlée s'emparer de lui. Il se sentait puissant et invincible. Puis il y eut un flash, et les images s'accélérèrent. Erik. Les mutants. Les armes. La sensation de brûlure qui se répandait dans son corps. Mais cette fois, la souffrance laissa place à un sentiment de culpabilité qui devint bientôt étouffant. Charles voulut fuir ce rêve, ouvrir les yeux et arrêter ce flot d'émotions qui fonçaient droit sur lui comme si elles ne lui appartenaient pas, mais il ne put qu'observer sans bouger, comme transporté dans un univers parallèle. Il sentit une douleur fulgurante éclater dans sa poitrine qui tétanisa ses muscles et brûla tout sur son passage lorsqu'il entendit sa propre voix prononcer les paroles qu'il avait si souvent regretté.

Your touch, magnetizing (Cherik)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant