Le beignet

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« Attends-moi ! »

Nicolas dévalait la pente en courant sans prêter attention à la voix de sa sœur, qui peinait à arriver jusqu'à ses oreilles.

Jade était en train de le rattraper et se fit la remarque que son petit frère de 8 ans avait bien de l'énergie à revendre et courrait bien trop vite dans cette ruelle en pente. Ses professeurs étaient d'ailleurs tous d'accord pour dire qu'il devançait plutôt aisément ses camarades quand il s'agissait de vitesse en cours d'éducation sportive. On lui contait un bel avenir sportif.

La ruelle était pavée et bordée de maisons aux couleurs vives. Toutes collées les unes aux autres et faisant jusqu'à quatre étages de haut. De jour on pouvait être ébloui par tant de couleurs en levant les yeux au ciel. Rien n'allait vraiment ensemble, les couleurs n'étaient pas accordées, des murs jaune poussin, des tuiles rouge écarlate, des volets bordeaux ou bleu-roi, des balcons verts, mais c'était finalement ce qui faisait de ces ruelles un quartier vivant et touristique au milieu de la ville qui comptait à peine cinq mille habitants. Cette ville avait été construite à flanc de colline et comprenait nombre de rues pentues.

Jade avait enfin réussi à rattraper son frère, et ils couraient maintenant côte à côte, une multitude de couleurs défilant devant leurs yeux. Ils avaient douze ans d'écarts mais s'entendaient à merveille. Ses parents avaient eu Jade tôt et Nicolas étaient arrivés après, sans être un accident ni réellement une volonté. La seule certitude était qu'ils aimaient leurs enfants plus que tout et Jade s'estimait très chanceuse d'avoir une famille aussi soudée et aimante. Elle avait dû quitter le cocon familial deux ans auparavant pour ses études mais rentrait dès qu'elle le pouvait, son appartement étant à 1h30 de bus en l'absence de bouchons.

« Veux-tu bien me dire où tu cours comme ça ?!

- J'ai envie d'un beignet ! Allez viens, dépêche-toi ! Y'en aura plus sinon ! »

C'était en plein mois d'Avril et il y avait très peu de touristes, donc peu de risques qu'il n'y en ait plus mais Jade n'osait le contredire. Alors ils continuèrent leur course jusqu'à la boulangerie.

Une fois arrivés, à leur grand bonheur, et comme elle s'en doutait, l'étalage de beignet était encore bien garni.

« Deux beignets s'il vous plaît.

- Quel parfum ?

- Chocolat bien sûr ! »

Jade paya, récupéra les deux beignets, et remercia la boulangère en lui souhaitant une bonne fin de journée.

Une fois dehors, elle tendit un beignet à son frère et elle se dit que tout l'or du monde ne valait pas la lueur dans ses yeux à cet instant précis. Ses yeux brillaient, le beignet encore légèrement tiède en main, il se retint par politesse de mordre dedans à pleine dents.

« Merci grande sœur ! La prochaine fois j'arriverais le premier en bas et c'est moi qui paierais ! »

Jade souris à cette idée. Il grandissait si vite. La différence d'âge faisait qu'elle était un peu comme une mère mais avec la complicité d'une fratrie.

Ils allèrent se poser dans leur endroit favori. Un banc non loin de là qui donnait sur la vallée et qui était caché derrière une suite de maisons, ce qui le rendait quasiment invisible aux yeux des touristes osant rarement s'aventurer aussi loin dans les ruelles étroites.

Une fois assis, ils se mirent à bavarder, en savourant leurs beignets, le chocolat débordant sur leurs doigts, et en regardant au loin la forêt et les champs qui s'étendaient à perte de vue. Jade lui racontait ses aventures dans la ville d'à côté, dans son petit appartement, lui décrivant les endroits qu'elle avait découverts durant ses nombreuses balades et lui promettant qu'un jour ils iraient ensemble. Nicolas, lui, contait fièrement sa super note en mathématiques, ou encore expliquait comment il avait fini vainqueur de la balle au prisonnier. Ils étaient vraiment proche dans ses moments-là, encore plus depuis que Jade était partie de la maison et Nicolas se confiait davantage.

« Jade, je crois que je suis amoureux.

- Ah oui ? De qui ?

- Elle s'appelle Élodie.

- Oh, et elle est comment ?

- Elle est intelligente et elle aime courir comme moi ! Je la trouve belle aussi, même si elle ne met pas de robe comme les autres filles.

- Et elle, elle t'aime bien ?

- Je ne sais pas. J'ai peur de lui demander. En plus mes amis trouvent qu'elle est bizarre, elle est souvent à l'écart. Mais je crois qu'elle reste seule parce qu'elle est timide.

- Tu sais, tes amis n'ont pas à te dire qui aimer ou non. Si elle te plaît va la voir, propose-lui de jouer à chat ou bien aux billes. Elle sera surement contente que quelqu'un vienne la voir. Mais surtout, ne laisse jamais personne te dire de qui tu peux être amoureux. »

Jade repensait à Agathe, son premier amour. On lui avait souvent répété qu'aimer une fille quand on en était une ça ne se faisait pas. Elle en avait souffert toute sa scolarité, à toujours entendre des critiques sur celles ou ceux qui osaient se montrer. En terminale, elle avait rencontré Agathe et elles s'étaient aimées en secret quelques mois avant que chacune ne parte faire ses études dans des villes différentes. Elles s'étaient alors promis de profiter de leurs futures années mais de se retrouver un jour.

En étude supérieure, Jade avait avoué à ses parents et tous ses nouveaux amis qu'elle aimait les filles. Elle avait enfin pu être acceptée comme elle était et n'avait plus à se cacher pour aimer qui elle voulait.

Jade se tourna pour faire face à son frère.

« Nicolas, l'amour n'est pas dicté par un code vestimentaire, tout comme il n'a pas de couleur, de sexe, de religion ou d'âge. Garde toujours ça en tête et n'écoute pas ceux qui te diront le contraire. L'amour c'est ressentir des sentiments au plus profond de soi et ne pouvoir s'en détacher. »

Nicolas hocha la tête, tout sourire, en guise de réponse. Il ne comprenait pas bien tout ce qu'elle venait de dire ni pourquoi elle avait pris cet air sérieux au fur et à mesure de la discussion. Parfois les adultes disent vraiment des choses étranges se disait-il mais ça l'avait décidé à jouer à chat avec Élodie.

« J'ai fini mon beignet et j'ai froid un peu. On peut rentrer à la maison ?

- Oui bien sûr, rentrons. »

Ils se mirent alors en route. Les maisons avaient perdu leurs couleurs éclatantes, les rayons du Soleil ne parvenaient plus jusque dans les ruelles, bloqués par les grandes bâtisses et les pavés ne résonnaient pas comme quelques heures auparavant. Les lucarnes, en revanche, reflétaient les dernières lueurs et un ballet envoûtant de rayons rouge-orangés et violacés se déroulait sur les toits, seulement visible par ceux qui relevaient la tête à la recherche des premières étoiles.

Mes récitsWhere stories live. Discover now