« Dis Théo, tu crois au coup de foudre ?
- C'est quoi cette question bateau tout droit sortie d'un livre ?
- Ok ça va, j'ai compris, c'est pas avec toi que je peux discuter de ça... »
La mine boudeuse, Elsa se tourna pour saisir son livre, et continua son chapitre là où elle l'avait arrêté.
Elle passait la nuit chez son meilleur ami. Ils avaient joué à Final Fantasy tout l'après-midi et étaient maintenant affalés sur le canapé-lit. Théo, manette à la main, voulait à tout prix finir cette quête, et Elsa feuilletait alors son livre, sachant que tant qu'il n'aurait pas fini ce qu'il avait entrepris, il serait là sans vraiment être là et ils ne pourraient pas réellement discuter. A chaque fois qu'ils se revoyaient, le sommeil n'était aucunement un obstacle à leurs interminables discussions portant sur à peu près tous les sujets imaginables.
Une fois ils avaient débattu pendant une heure sur la possibilité que le chat du voisin soit un extraterrestre venu repérer la meilleure famille dans laquelle s'installer pour ensuite coloniser la Terre sans que personne ne se doute de rien. Ou bien une autre fois ils s'étaient attardés sur un univers parallèle disponible depuis le micro-onde.
« Yes j'ai réussi ! »
Théo posa la manette sur la table basse devant eux. Sa quête était finie. Leur nuit ne faisait que commencer.
« Il ne me semble jamais en avoir vécu un. Pour moi c'est juste un mythe de poète. Et toi, tu as eu l'opportunité de prouver son existence ? »
La lueur dans les yeux d'Elsa contredisait ce mythe qu'il venait d'évoquer.
En effet, Elsa y croyait dur comme fer. Elle l'avait vécu, à maintes reprises. Ce moment où tes pensées ne concernent que cette personne. Au réveil tu penses à elle, avant de dormir tu penses à elle, toutes les chansons te semblent d'un coup ne parler que d'elle ou de vous. Ce moment où tu crois la voir partout. Ce moment où, tout d'un coup, plus rien n'a de sens sans cette personne. Ce moment à partir duquel toutes tes perceptions de cette personne changent. Un effleurement furtif te provoque un frisson. Son sourire déclenche le tiens. Sa voix te transporte dans un univers parallèle mélodieux. Sa présence te retourne l'estomac, ces fameux papillons dont tout le monde parle sont présents. Rien qu'imaginer la vie sans la personne est douloureux.
Oui, elle y croyait.
« Je crois que c'est une malédiction. Ça existe, et j'en suis maudite.
- Tu vois, c'est un truc de poète. Mais pourquoi tu dis ça ? C'est pas censé être beau un coup de foudre ?
- Je te rappelle qu'il y a le mot -coup- dans l'expression et -foudre- aussi. Alors oui, c'est beau, beau comme l'orage en plein été, qui dessine de belles zébrures dans le ciel noir, accompagné de la pluie qui adoucit les températures. Mais c'est aussi violent, violent comme l'éclair qui déchire l'arbre sur lequel il tombe. Cet arbre qui finit par mourir d'avoir été brûlé trop profondément par la foudre.
- Et là tu vas me dire que tu es cet arbre ?
- Oui, en quelque sorte. Je ne vais pas en mourir bien sûr, mais j'ai été touchée souvent et ça use. L'arbre ne meurt pas à chaque fois mais doit se reconstruire, laisser le temps soigner ses blessures et recréer de l'écorce protectrice.
- Attends attends, dans les films et les livres, le coup de foudre amoureux débouche généralement sur une belle histoire, non ?
- Tu as raison, c'est dans les films et les livres. Dans la réalité c'est beaucoup moins fréquent. Et moi j'en suis maudite. Je suis comme l'arbre au milieu d'une prairie, qui attire la foudre mais est le seul à se faire frapper. Et les orages sont suffisamment espacés pour que j'ai le temps de me soigner et d'oublier la douleur. Sauf que la foudre finit toujours par retomber. »
Théo ne savait que répondre. Il avait toujours vu les coups de foudre des contes, ceux qui sont beaux et se finissent bien. Il ne l'avait jamais vécu et n'en avait pas envie maintenant qu'il avait cette métaphore de l'arbre en-tête.
« Tu n'es pas maudite, tu es l'arbre le plus solide que je connaisse. Celui qui survit à chaque fois. Un jour, un très très gros orage se déclenchera, et ce jour là tu ne seras pas la seule à être frappée, un même éclair te frappera toi et ton âme sœur, j'en suis certain.
- Tu vois, finalement toi aussi tu es un poète. »
Les deux amis éclatèrent de rire.
Elsa s'était habituée à sa malédiction, elle tomberait encore sûrement de nombreuse fois amoureuse, et cela ne serait que rarement réciproque. Mais elle le savait. Elle acceptait son sort. Elle aimerait corps et âme avant de se perdre puis de recommencer cette éternelle spirale. Jusqu'au jour où son sourire déclencherait celui d'un ou d'une autre en retour, où sa voix ferait voyager ce quelqu'un d'autre en même temps, où sa présence réchaufferait l'autre corps collé à elle.
Elle se dit alors que c'était la plus belle des malédictions.
La nuit était très calme ce soir-là. Seul quelques bruits de la ville leur parvenaient à travers la fenêtre ouverte. Ils étaient au rez de chaussée d'une résidence en bordure de ville. Il y avait même un jardin.
Leur discussion avait repris sur un autre sujet. Théo lui expliquait son projet d'application mobile pour apprendre à jouer de la batterie. Elsa écoutait attentivement, elle avait toujours voulu savoir en jouer.
Un léger bruit de pas. Un miaulement. Les deux amis sursautèrent.
Hector, le chat des voisins, venait de bondir sur leur rebord de fenêtre et les fixait, ses pupilles dilatées témoignant de l'obscurité présente à cette heure tardive.
Il allait leur tenir compagnie pour la suite de la nuit, qui semblait très peu synonyme de sommeil. Les deux amis avaient tant à se raconter.
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Mes récits
KurzgeschichtenDes pensées, des souvenirs et des histoires en vrac. Il n'y a pas d'ordre. Simplement des textes écrits quand l'envie me vient.