Ville et musique

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J'avance dans la ville. Cette ville que je devrais si bien connaître après plusieurs années de vie à l'habiter. Et pourtant j'arrive encore à m'y perdre. Ce doit être la raison pour laquelle je continue d'aller m'y balader, ou plutôt d'y errer sans but.

J'y découvre et redécouvre des places, des rues, des maisons étroites coincées entre deux immeubles, des mélodies, des odeurs, des couleurs.

La musique, fidèle amie, m'accompagne à chacune de ces balades. Elle me fait percevoir ce qui m'entoure différemment. Les notes dansent au même rythme que ce jeune garçon qui tient absolument à montrer à son père la nouvelle chorégraphie qu'il a apprise à l'école. Les couleurs sont plus vives, comme intensifiées par cette voix qui ne cesse d'aligner des mots dans mes oreilles de son air envoûtant. Avec elle c'est comme si je portais des lunettes, un filtre de bonheur.

Je ne sais pas où je vais mais je ne m'arrête pas. Ou alors seulement quelques secondes, pour admirer un peu plus ce qui m'entoure.
Ses briques roses, si caractéristiques. Ses pavés, qui font résonner les talons de cette femme qui me passe devant, l'air sérieux, pressée, déterminée sachant exactement où elle va. Ses feux de circulation, qui rythment toute cette vie. Ses arbres et ses fleurs, apportant des touches de couleurs. Ses habitants, grouillant telle une fourmilière.

Je continue mon errance.

Je monte, je tourne à droite et je m'arrête. La musique vient de changer. Quelques secondes de silence. Suffisamment longues pour me faire réaliser que je ne sais pas où je suis. Suffisamment longues pour me ramener de force à la réalité. Suffisamment longues pour que ce qui m'entoure soit d'un coup fade et bruyant. Les feuilles des arbres ont perdu leur vert éclatant. Les rires des enfants sortant de l'école sont étouffés par des klaxons au loin. L'odeur du pain frais est remplacée par celle nauséabonde des égouts. Je reste là, figée pendant ces quelques secondes, qui semblent durer une éternité.

Puis la magie reprend. Une nouvelle mélodie naît dans mes oreilles. Je ne sais toujours pas où je suis ni où je vais. Ça n'est pas important. Je me remets en marche. Cette fois je tourne à gauche. Et là, sous mes yeux, le paysage est en osmose avec la musique qui résonne dans ma tête. Une tempête de couleurs et de reflets à la surface du fleuve se mêle à l'air enivrant qui me fait danser intérieurement. Je m'arrête, mais cette fois-ci, volontairement. Je dois immortaliser cette scène. Elle n'aura pas la même saveur quand je la regarderai de nouveau mais peut-être me ramènera-t-elle dans cette réalité parallèle si je m'en imprègne suffisamment. Peut-être me permettra-t-elle de m'échapper de ma vie morne dans ce petit appartement si je m'y concentre suffisamment.

Après avoir ainsi régalé mes yeux je décide de me diriger vers une place bruyante que j'entends au loin. Ce n'est pas un bruit désagréable, c'est un bruit chaleureux. Des musiciens sont en train de l'animer. Deux femmes discutent de vive voix. Un couple rit aux éclats. La garde à cheval marche au pas. Malgré mes écouteurs, je perçois tout ça. La musique ne me sert que de fond sonore, pour embellir la scène, comme dans un film. Je reste là, quelques instants, à savourer la vie.

Une brise vient me chatouiller les chevilles et me sort de mes pensées. Il commence à se faire tard. Je ne m'en suis pas rendu compte. Je marche depuis deux heures. La ville va petit à petit prendre une nouvelle dimension. Une dimension que j'affectionne particulièrement. Mais j'ai d'autres projets pour ce soir, je ne peux rester t'admirer plus longtemps chère ville.

Je m'enfonce alors sous terre pour rejoindre mon chez-moi. Le métro et ses passagers semblent danser. Le trajet est long, mais trop court. J'arrive devant ma porte. J'enlève mes écouteurs. Dur retour à la réalité. J'entre. Il n'y a personne. Ce soir, comme tous les précédents, seul le ciel plein d'étoiles viendra me tenir compagnie. Et moi, je pense à la prochaine fois.

Promis, ville, je reviendrai. Observer ta beauté, découvrir tes secrets et écouter cette mélodie qui t'est si propre.

Mes récitsWhere stories live. Discover now