⠀⠀⠀⠀Dorothée,
Je ne savais pas comment t'apostropher sans risquer de paraître formelle ou éperdue. T'effrayer ou t'ennuyer sont les dernières choses que je souhaite. C'est pourquoi ton prénom est le premier mot que j'inscris sur cette feuille (un très beau prénom, par ailleurs, je te le redis).
À présent que me voilà assise sur ma chaise, penchée sur ce papier, plume en main, le soleil m'inondant le flan gauche de chaleur, je ne sais plus pourquoi je t'écris. Plus totalement. Pour te parler ; pour raviver nos souvenirs en mon esprit ; pour me changer les idées, peut-être.
L'été est vide cette année, éteint, oserais-je dire. Il m'arrive de sortir de la maison par moments. C'est juillet après tout : il fait chaud, bon, l'air résonne de ce souffle brûlant et enivrant qu'accompagne les chants des sauterelles dans les fougères, et ceux des oiseaux sur leurs branches. Tu as bien compris : je me promène sur les sentiers, à travers champs, moi, qui ai si peur des insectes d'ordinaire. Je ne suis toujours pas remise de cette peur liquéfiante, mais me promener dans la campagne m'est si agréable et vivifiant que je ne peux me résoudre à me soustraire à ces heures de répit.
Je croise rarement des marcheurs ou des marcheuses, uniquement des familles, parfois. Cependant, ils ne vont pas là où je m'aventure, ils restent à la lisière des bois, à la lisière de la nature, presque comme s'ils l'appréhendaient. Je vais plus loin, plus loin qu'eux, là où tu serais allée. Je passe mes doigts sur les épis de blé, les grandes fleurs sauvages qui bordent le chemin pavé et cabossé (celui-là même qu'il vaut mieux ne pas emprunter lorsque vient la saison de la chasse) ; je frôle les coquelicots — ce qu'ils me font penser à toi ! tu les tenais en haute estime dans ton cœur, je me souviens — ; mes mains bondissent par-dessus les orties, les chardons, qui mangent toujours plus la route au fil des mois et des années.
Que c'est charmant de ce côté ! Tu m'écoutais toujours abhorrer cette campagne dans laquelle j'ai grandi, dans laquelle nous avons grandi. Je voulais la ville, moi, je voulais les gens, l'agitation, la vraie vie ! Enfin, celle que je croyais être la vraie. Tu riais souvent à mon visage convaincu, puis tu le couvrais de baisers, un sur chaque joue, sur le bout du nez, le front, les paupières. Tu faisais exprès de me faire languir, d'étirer l'attente, toujours plus. Je voulais tes lèvres sur les miennes, je voulais capter ta bouche, la couvrir, l'inonder de la mienne ! Je voulais t'embrasser, enfin, et tu le souhaitais également.
Bref. Je m'éparpille, et ça affole mon cœur, je l'entends battre fort dans ma poitrine. Que disais-je ? La campagne, c'est cela, la campagne. Je n'aimais pas me sentir à l'écart de la frénésie du monde, hors des villes, des grandes villes où se concentre l'activité. Et dans le nord, d'autant plus ! La campagne nordique, quelle poisse, je disais souvent. Je ne parvenais pas à apprécier d'y habiter. Cela me semblait mort, mort, mort, comme un cimetière défraîchi.
Ce ne sont que champs, prés de vaches ou de chevaux, sentiers pavés, étendues herbeuses, orties qui piquent les mollets, bourdons dans les oreilles, marais où les moustiques abondent, bancs inopportuns, la Scarpe, où mouillent sur le bord des vastes péniches aux noms rêveurs, canards ou poules d'eau endormies sur l'herbe, cailloux dans les godasses (je souris rien qu'à l'idée que ce nom te ferait frémir), tracteurs qui nous étouffent dans leur poussière, des bunkers dérobés dans les bois, et — oh, je les oublie presque ! — terris vertigineux. Que nous avons ri en les descendant, manquant de glisser sur les cailloux et de nous érafler les genoux sur la roche !
Lorsque je vois ces grands terrils maintenant, je revois ton visage, parce que tu les aimais. Tu les nommais les montagnes nordiques, des petites montagnes néanmoins. Je compte en gravir un ou deux cet été, cela me rappellera toi. Je prendrais garde, ne t'en fais. Peut-être irai-je à Rieulay, tu adorais cet endroit, tu m'as appris à l'aimer, alors que je n'en pouvais plus, ayant passé mon enfance à y être traînée par mes parents !
Mais enfin, je revivrai mille et mille fois encore toutes nos péripéties si cela me permettait de te revoir, de revoir ton visage et tes yeux noirs.
⠀⠀⠀Ton amoureuse,
⠀⠀⠀⠀⠀Violette.
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ADIEU LE MONDE
Short Story« Et c'était comme si le monde n'était plus, que n'existaient plus que tes yeux, ces beaux fragments de néant qui me captivaient tout entière. » [œuvre épistolaire sur un amour sapphique perdu dans les paysages du nord] ˗ˏˋ 16/o7/2o2o || 21/o8/2o2o...