⠀⠀⠀⠀Dorothée,
C'est le 14 juillet aujourd'hui. Je ne sais même plus ce que l'on fête : la France ? Quelle France ? J'ai la sensation qu'il n'y en a plus une, mais plusieurs, que ce pays est morcelé, qu'il est furieux, bouillant ; la France est colère, hargne et dégoût. Je ne sais plus ce que j'en pense. C'est bien le pays des droits de l'homme... blanc, tu crois pas ? Les femmes n'étaient pas comprises à l'écriture de cette déclaration, seulement les hommes blancs — et encore, pas tous, j'en suis certaine.
Alors quoi ? Je suis supposée être fière ? soutenir un pays qui ne me soutient pas, moi, pour ce que je suis ? Je veux bien aimer mon pays, je veux bien le défendre, mais pas si je dois me sentir en danger et comme une proie en son sein.
Je sais que j'avais dit que j'allais essayer de réguler mon amertume, sauf que j'ai bien du mal parfois. Je ne sais pas, c'est plus fort que moi. Je suis épuisée du déni des français. Ils ne comprennent pas que la France n'a jamais été un modèle de tolérance et de lutte pour les droits humains : ce n'est qu'une imposture, car elle fait ce que font tous les autres : défendre l'homme blanc avant tout. Certes, c'est un noble et juste combat de se battre contre les inégalités économiques, de lutter pour vivre décemment, mais... est-ce toujours un combat juste si cela laisse de côté une partie des victimes ?
Tu vois, le schéma se répète — je veux dire, pour les droits des femmes, plus globalement — comme à l'ancienne : les riches, les nobles, au 18ème siècle, ils voulaient sûrement rester bien sagement dans leurs privilèges, en sécurité, et tant pis pour les pauvres ; aujourd'hui, les hommes se comportent de la même manière : ils sont satisfaits de leurs privilèges et de leur place de dominant, et tant pis pour les femmes. Le problème est là : c'est toujours la même chose, le combat de dominés contre dominants.
Enfin, je pense que c'est insoluble. Tout ce que l'on peut faire, c'est essayer d'améliorer au mieux les conditions, même si l'on ne pourra jamais atteindre une égalité, ou équité, parfaites. Ce n'est pas possible. Tu sais pourquoi ? C'est dans la nature des choses : dans le règne animal, tu as toujours des dominants et des dominés, que ce soit, au sein d'une même espèce, entre des animaux de sexes différents ou de même sexe.
Je pense que pour qu'il y ait égalité, il faudrait que nous soyons tous et toutes les mêmes, avec les mêmes idées, les mêmes besoins ; or, ce n'est pas le cas.
Du coup, je ne sais plus vraiment quoi penser. Est-ce que je peux en vouloir à la France d'être ce qu'elle est alors que l'égalité est inatteignable quoi qu'il en soit ? aux hommes d'être ce qu'ils sont alors qu'ils sont tout autant modelés que moi par l'éducation et la société ? ...à moi-même pour être injuste par moments, dans mon quotidien ?
C'est tellement tordu ce débat que je ne parviens pas à mettre mes idées à plat et à réfléchir clairement. Je crois que je vais m'arrêter là. Je devrais peut-être parler plus de toi, de nous, et moins de mes appréhensions et de mes questionnements négatifs. Ce n'est pas ce dont tu as besoin. Non non non. Je m'excuse Dora.
⠀⠀⠀⠀Violette, qui pense trop.
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ADIEU LE MONDE
Short Story« Et c'était comme si le monde n'était plus, que n'existaient plus que tes yeux, ces beaux fragments de néant qui me captivaient tout entière. » [œuvre épistolaire sur un amour sapphique perdu dans les paysages du nord] ˗ˏˋ 16/o7/2o2o || 21/o8/2o2o...