Éclats [recueil abandonné]

7 DAYS CHALLENGE | Jour 2, « tournesol »

Elle était un tournesol. C'est banal, comme phrase, de dire que les gens sont des tournesols, facile même. Mais que pourrais-je dire d'autre ? Elle avait une peau brune, d'un brun qui respire le soleil d'été ; elle cherchait toujours du regard le soleil, et passait des heures le visage tourné vers lui, yeux fermés, dans son rêve ensoleillé. Elle-même aimait beaucoup ces fleurs : ses cahiers étaient remplis de tournesols, des tournesols humains, des voitures avec des tournesols, des gens avec des tournesols, des inscriptions agrémentées de tournesols, des tournesols normaux. Elle mettait souvent du jaune, aussi, qui s'accordait parfaitement avec sa douce peau, notamment son bandeau jaune dont elle ne se séparait quasiment jamais. Elle avait aussi des converses bleu ciel, hautes, avec des tournesols peints à la place de l'étoile. Elle disait que c'était sa marque de fabrique, ces fleurs à la couronne jaune, comme les converses ont leur étoile. Elle voulait en mettre partout, elle voulait absolument qu'on voit un tournesol en elle - ce qui était réussi.

On m'a dit, un jour, que je faisait penser à un tournesol, avec mon bandeau jaune et ma peau brune, mon envie de soleil. Dès lors, j'ai décidé d'en être un. On imagine pas à quel point c'est facile de se créer une personnalité imposante quand on est une personne vide de sens. Je ne me connaissais pas, je ne savais pas qui j'étais, et j'ai saisi cette opportunité de découvrir ce qu'étais le 'moi' immédiatement. J'ai commencé à mettre des habits jaunes, couleur qui m'allait particulièrement, à régulièrement sourire au soleil, à me tourner entièrement vers la lumière pour en puiser toute son énergie. Je suis devenue plus belle, de l'avis de certains, plus ouverte aussi, plus souriante, plus heureuse. Comme quoi, un quelques sourires et une vraie identité suffisent pour trouver le bonheur. J'ai aussi commencé à peindre et dessiner des tournesols partout où je le pouvais, pour me rappeler cet engagement que j'avais au soleil, de me tourner vers lui - pour qu'il me redresse, qu'il me hisse plus haut.

Et un jour, je suis allée dans un champs de tournesol, pour me redécouvrir avec eux. Quand je suis arrivée, ils avaient tous le visage abaissé au sol. On raconte les tournesols avec des pétales qui resplendissent, de grands pétales jaunes, comme des soleils. En réalité, ce sont des petites choses rabougries autour d'un trop grand visage brun, brun foncé. On dit qu'ils se tournent vers le soleil, mais ils lui tournaient le dos. Les tournesols sont des menteurs. Ils cachent leur réelle nature, ce qu'ils font vraiment. Cette légendaire fleur du soleil, elle passe au moins la moitié de son temps affaissée, la tête trop lourde pour sa tige sèche, le regard plaqué au sol sombre.

Je suis aussi une menteuse. J'ai voulu m'approprier une personnalité, sauf que tout mes fantasmes ne sont même pas réels, je m'appuie et recopie une chose inexistante depuis plusieurs années. Je suis un mensonge entier. Je refuse d'être un tournesol, je refuse d'être une menteuse. J'ai gribouillé toutes les fleurs de mes cahiers, repeint mes converses, j'ai l'impression d'être trahie. Mon monde vient de s'écrouler. Et je n'arrive même plus à en parler au soleil. C'est triste, peu être. C'est sans doute bête de se fermer pour une simple histoire de tournesols alors que tout aurait pu très bien continuer. Mais je refuse de rester dans le mensonge, et je m'enfonce encore plus.

Et je deviens comme un tournesol, le visage trop lourd pour mon corps, regardant lâchement le sol.

Note : oui, c'est fini, la chute est pas incroyable, je sais ;-;