L'Expiation | Chapitre 102

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Le jour où Shadi est apparu dans ma chambre pour insuffler l'âme d'Éléonore en moi, j'ai ressenti une douleur incommensurable. On aurait dit que mon enveloppe se rejetait elle-même, mon être brûlait, incapable de tenir l'intensité avec laquelle cet esprit grappillait en deux secondes les plus infimes cellules de ma chair. Intérieurement, j'ai hurlé, j'ai cru mourir. Puis tout est redevenu normal, et Éléonore vivait désormais dans mon corps sans que je puisse communiquer avec elle. Tout au long de ma vie, elle m'a façonnée depuis la bibliothèque au gré de ses envies pour m'empêcher d'éprouver la moindre douleur psychique. Physiquement, je pouvais me blesser, je pouvais saigner, mais psychologiquement, je ne me sentais pas submergée par l'émotion. À l'annonce du divorce de mes parents et de mon déménagement au Japon, j'ai pleuré, non pas de tristesse, mais de culpabilité. Je ressentais de la joie alors que j'aurais dû m'effondrer de peur.

« À l'instant où je suis entrée dans possession de ton corps, je voulais brûler tout ton être, te réduire en cendres sous les yeux impassibles de Shadi. »

Malgré tout, j'ai avancé, j'ai vécu, comme l'aurait fait n'importe qui. J'ai ignoré l'absence de pleurs jusqu'au jour où nous avons été réunies, celui où mes émotions ont été décuplées par deux, pour deux âmes meurtries.

Allongée sur le sol des ruines de Kul Elna, la vue masquée par les phalanges osseuses d'un monstre vengeur, je songe à ce que ressemblerait la mort si elle me tuait ici, tout de suite

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Allongée sur le sol des ruines de Kul Elna, la vue masquée par les phalanges osseuses d'un monstre vengeur, je songe à ce que ressemblerait la mort si elle me tuait ici, tout de suite. Serait-elle pénible et douloureuse ? Cela dépend de son envie de me faire du mal. C'est ironique, rien que d'y penser. Toute ma vie, elle s'est efforcée d'anéantir le moindre fragment de souffrance au fond de mon cœur. Pourtant, elle est sur le point de me porter le coup de grâce.

— Tu es beaucoup moins loquace tout à coup.

Je ferme les yeux, incapable de maîtriser la panique qui cloue mon corps au sol. Des prières se formulent négligemment dans mon esprit avant de disparaître, incomplètes. De toute façon, je n'ai jamais été croyante.

— Tu me laisses te tuer, aussi facilement ?

Le vent s'infiltre à travers les phalanges et me caressent les joues. Mes yeux piquent, des larmes flouent le bleu du ciel et parsèment ma peau de frisson.

J'ai peur.

— Mh ?

— J'ai peur, je répète à haute voix.

— Parce que tu crois que je n'avais pas peur ce jour où ils m'ont détruite ?

Éléonore ne m'écoute plus, elle n'écoute que son âme, que sa plaie qui n'a jamais cicatrisé au fil des siècles d'errance. Avant que Maximilien Pegasus ne scelle nos vies dans l'espoir de ramener Cécelia des enfers pour la contempler une dernière fois. À cette pensée, je remarque l'absence de rancœur à son égard. Et c'est certainement ça qui nous différencie tant, Éléonore et moi.

Âme de PuretéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant