"Les caravanes sont multiples à traverser les contrées d'Armandre de part en part. Elles rythment la vie des fermiers isolés, amenant à chaque fois de nouveaux visages."
Bryl Seyan, "Mémoires d'autres âges"

La caravane arriva à l'aube. Nylan et Leren la guettait depuis un moment déjà, perchés en haut d'un empilement de gros rochers. C'était un jour de grands vents aussi les deux jeunes gens devaient ils rester accroupis pour éviter de perdre l'équilibre.

Elle comptait six guerriers montés sur d'imposants chevaux et une dizaine de chariots. Un cavalier en tenue sombre se tenait un peu à l'écart, en avant de la caravane.
Il était impossible de donner le nombre de personnes se trouvant dans la caravane.

Nylan et Leren entreprirent de descendre de leur perchoir lorsque la caravane approcha de la porte, la jeune femme avec plus de facilités que son ami.
Elle l'attendit cependant avant de courir vers le village.

Les caravanes n'étaient pas encore toutes rentrées lorsqu'ils arrivèrent. Les guerriers étaient descendus de leurs destriers qui s'abreuvaient à présent près du puit.
L'homme en habits sombres, celui ayant attiré l'attention de Nylan, se tenait à l'écart, à côté de son cheval, appuyé sur une barrière et les bras croisés sur la poitrine.
Son regard se baladait partout et rien ne semblait lui échapper. Il s'attarda sur Nylan et Leren et les deux jeunes gens se sentirent comme transpercés.

- Un Brume, annonça Gil en posant ses mains sur les épaules des deux jeunes gens, les faisant ainsi sursauter.

- Un Brume, répéta Nylan en s'imprégnant des mots prononcés par Gil.

Nylan avait toujours voué une certaine admiration aux Brumes dont les exploits et compétences étaient souvent narrés dans les livres et récits. Pourtant, bien que d'une certaine manière déifiés dans les écrits, en réalité, ils ne présentaient aucuns signes particuliers pouvant les distinguer d'un autre homme.
Du moins, pas vestimentaire ou physique.
Il y avait une sorte d'aura émanant du Brume qui leur faisait face. Il donnait l'impression de pouvoir lire en n'importe qui comme dans un livre ouvert, de comprendre un langage que seul les yeux parlaient et de pouvoir comprendre chaque geste comme étant un message inaudible.

Alors que Gil et son fils s'en allaient vers les chariots, Nylan se pris à continuer d'observer le Brume.
Le regard de celui-ci revint se braquer sur la jeune femme et un petit sourire vînt élargir sa bouche.
Nylan soutint son regard pendant un long moment avant de se retourner et de s'en aller vers les hommes et femmes s'affairant autour du convoi, à présent totalement rentré à l'intérieur des murs.

Elle esquiva aisément le corps massif d'un guerrier qui, occupé à discuter avec un de ses camarades, aurait très bien pû la piétiner sans même la remarquer.
Le village jusqu'alors calme était maintenant plein d'activité. Les gens s'appelaient tout autour de Nylan, les marchands de la caravane commençant déjà les échanges et transactions desquels ils étaient coutumiers, cela sous le regard attentif des guerriers.
Nylan se rendit compte que le bruit émanant de ce genre de scènes ne lui plaisait guère, elle alla donc près de l'enclos des Brouteurs, préférant les bruits calmes des bêtes à ceux des hommes.

- Tu ne te mêles pas aux autres ?

Nylan sursauta et se tourna sur sa gauche. Le Brume se tenait là, appuyé sur la balustrade de l'enclos. Elle ne l'avait pas du tout entendu arriver...et dire qu'elle pensait se déplacer silencieusement.

- Je...je ne vous ai pas entendu approcher, balbutia-t-elle.

Un sourire énigmatique flottait sur les lèvres du Brume aussi ne répondit-il rien.
Cet homme était la première personne qu'elle ait jamais vouvoyé.

"Secret Brume hein" pensa Nylan.

- Quelle place avez-vous dans la caravane ?

- Observer et, lorsque besoin il y a, agir.

Un rapide coup d'oeil en direction de son interlocuteur confirma à Nylan que le Brume semblait satisfait par sa réponse et n'ajouterait rien de plus.

- Comment t'appeles-tu ? demanda-t-il néanmoins après un moment de silence.

- Est-ce important ?

- Non, confia le Brume. De toute façon, je connais déjà la réponse.

Nylan tourna la tête vers l'homme surprise. Celui-ci regardait depuis un moment Lyan qui bavardait avec un voyageur de la caravane. Elle hôcha la tête et un petit sourire, semblable à celui peint sur le visage du Brume, étira ses lèvres.
La conversation de sa mère n'avait pas dû échapper à l'ouïe aiguisée de l'homme puisque même Nylan parvenait à en saisir quelques mots.

- Nylan, dit-elle simplement.

- Vent en langage ancien, traduisit le Brume alors qu'une bourrasque soulevait les cheveux de la jeune femme.

Il hôcha la tête pour lui-même.

- Bryl l'aimait bien, déclara Nylan avec une pointe de tristesse.

Le Brume avait dû ressentir son trouble aussi se redressa-t-il.

- Montre le moi, dit-il d'une voix calme et douce.

- Puis-je vous demander votre nom avant ?

- Non, répondit le Brume avec malice tout en se dirigeant vers le cimetière. Tu le découvriras peut-être un jour. Peut-être pas.

Nylan leva les yeux au ciel puis se décolla de la barrière pour suivre le Brume.
"Pourquoi vous intéressez-vous à moi ?" était la question qui trottait dans sa tête depuis que l'homme l'avait abordée.

Il se déplaçait avec grâce et souplesse, ne faisant aucun bruit. En écoutant les bruits environnants et en regardant la démarche de l'homme en habits sombres, Nylan se rendait compte que, sa démarche qu'elle croyait jusqu'alors silencieuse s'apparentait finalement à celle d'un brouteur boitillant : trop bruyante.

Le Brume s'arrêta à l'entrée du cimetière et laissa la jeune femme rentrer en première.
Ils s'arrêtèrent tout deux devant la tombe de Bryl dont la gemme rouge, Sanctis, était éteinte en plein jour.

Nylan ne souffla mot mais une larme perla au coin de son oeil, suivie par d'autres.

- Il m'a beaucoup appris, comme un maître aurait fait. Cependant il ne s'est jamais vu comme tel et n'a jamais cherché à l'être.

- L'écouter était pour toi comme un enseignement...tout comme ses moments de silence ?

- Exact.

Le Brume hôcha la tête.
Un long silence s'écoula le temps que Nylan ravale ses larmes.

- Il me semble que tu as des choses à faire avant le soir Nylan, fît remarquer l'homme.

La jeune femme hôcha la tête en guise d'approbation et, s'arrachant lentement à la contemplation de la tombe, se dirigea vers la sortie du cimetière. Elle marqua un temps d'arrêt en voyant que l'homme n'avait pas bougé puis, haussant les épaules, elle se dirigea vers la caravane.
Une paire de bras en plus ne serait pas de trop.

Keyel se rappelait Bryl, il l'avait croisé à de nombreuses reprises. L'homme était sage et ses remarques toujours réfléchies. Cette sagesse n'avait pas disparu avec l'âge, bien au contraire : elle s'était raffermie.
Le jeune Brume n'aurait jamais pensé trouver sa sépulture dans un endroit si reculé quoique, en y réfléchissant bien, Bryl était un amoureux de la nature.

Keyel posa la main sur la stelle après avoir vérifié discrètement que personne ne le regardait.
La gemme se mît à briller au contact de sa main. De sa main libre, Keyel sortit un poignard accroché à sa ceinture.
Il se mît à écrire sur la stelle, la pointe de son couteau mordant la pierre comme du beurre. Lorsqu'il eût fini, les mots gravés brillèrent d'une lueur rouge qui s'évanouit en même temps que celle allumée dans la gemme lorsque Keyel retira sa main de la pierre après avoir rangé sa lame.

"Maître Brume" était à présent inscrit sous la gemme, reflets des noms apposés au-dessus.

Gil, à qui rien n'avait échappé hôcha la tête en souriant.

Sans le savoir, les deux hommes dirent la même chose en même temps, l'un fermier et chef de village, l'autre, élève et maître.

- Repose en paix, mon ami.

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