Chapitre 2

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            Je me réveille en sursaut, les jambes paralysées sûrement à cause du rêve, ou plutôt du cauchemar, que je fais toutes les nuits depuis l'accident qui s'est produit il y a six mois. Ses images me hantent en permanence. Je me demande si un jour je réussirai à tourner la page, vivre ma vie telle que j'en ai envie, sans repenser à ce qui s'est produit.

            Je tourne ma tête pour essayer de distinguer les chiffres du réveil posé sur ma table de nuit. Il est trois heures. Ah non quatre. Enfin je crois. Dans tous les cas, je n'arriverai pas à me rendormir. Rien ne sert d'essayer, ça fait maintenant six mois que ça dure.

            Je me lève de mon lit. A l'évidence bien trop vite puisque mes jambes ne se sont pas remises de mon cauchemar. Je me rattrape du bout des doigts au bord de mon lit. Et voilà que j'ai la tête qui tourne maintenant. Il faut vraiment que j'arrête de me lever aussi vite.

            Quand je reprends enfin mes esprits, je me dirige dans la salle de bain. J'allume la lumière, et je vois ma figure dans le miroir. Mes yeux verts sont à peine entrouverts, mais je distingue déjà la cicatrice sur ma joue.

            Le lendemain de l'accident, quand je me suis réveillée dans ce lit d'hôpital, mes jambes me faisaient mal. Elles avaient été opérées toute la nuit. Je me demandais encore si j'étais en vie ou si c'était ce qu'on appelle le paradis ? Par automatisme, j'ai levé ma main gauche pour la posée sur mon front pour suivre les lignes de mon visage. Mais sur ma joue, il y avait un énorme pansement. Cette blessure me faisait mal, et j'ai prié pour que la cicatrice finisse par disparaitre. Cependant, elle est toujours là. Comme la signature du destin.

            En me voyant dans ce miroir, je vois ma sœur. On était identiques. On avait les mêmes yeux, la même bouche rosée et pulpeuse, et le même grain de beauté sous l'œil droit. Nous étions trop pareilles, alors nous avions adopté deux styles totalement différents pour que l'on nous distingue l'une de l'autre. La garde-robe de Shanna était remplie de vêtements classiques de couleurs impersonnelles et intemporelles. Ces pièces correspondaient exactement à sa timidité et à sa discrétion. Mon style à moi était beaucoup plus provoquant. Je portais des vêtements courts, des jupes qui arrivaient à peine en dessous des fesses, et des crocs-tops qui mettaient en valeur ma poitrine.

            Après l'accident, j'ai changé radicalement de style, pour des tenues plus girly. C'est fini les tenues courtes pour plaire aux garçons et aux populaires du lycée. J'en ai marre de devoir passer pour une personne que je ne suis pas, quitte à ne plus avoir d'amis. De toute façon, ce n'est pas grave, j'ai besoin d'être seule pour le moment.

            Quatre heures et demie. Je sors de la salle de bain pour rejoindre mon lit. J'attrape mon ordinateur sur mon bureau et l'allume. Il est encore tôt, j'ai le temps de regarder au moins un épisode de ma série, 13 reasons why, qui vient de sortir sur Netflix. Bon d'accord j'avoue, si je suis tellement à fond dans cette série, c'est parce que je peux mater Justin. Mais rassurez-moi, je ne suis pas la seule à faire ça, si ?

            Mon réveil sonne. J'avais oublié de l'éteindre. Il est six heures et demie. Comme d'habitude, je prends les premiers vêtements de mon armoire et descends prendre mon petit déjeuner. Dans les escaliers, je m'arrête devant la photo de famille qu'on avait prise à New York. Je sautais sur le dos de mon père, qui tenait Shanna et ma mère par les épaules. On avait un sourire que je qualifierais de vrai. On était heureux. Heureux d'être là et ensemble. Ces sourires me manquent. Peut-être qu'un jour mes parents et moi seront surpris de rire comme avant.

            Quand j'arrive dans la cuisine, mes parents sont déjà levés. Je les salue puis traverse la pièce pour prendre mon sac et mes chaussures que j'avais balancés la veille. Lorsque je m'apprête à remonter les escaliers pour regagner ma chambre, ma mère me coupe dans mon élan : « Noa, tu n'as pas faim, tu ne veux rien manger ?

- Non, maman, je n'ai pas faim.

- Prends au moins un gâteau, tu auras faim en cours sinon ! »

            Sans trop réfléchir, j'attrape un petit écolier dans le placard à gâteau puis cours dans ma chambre. C'est vrai que ce n'est pas bien d'éviter ses parents comme je le fais, mais je suis mal-à-l'aise avec eux. Je ne veux pas qu'ils me demandent comment je vais. Et puis, même s'ils le faisaient, je leur mentirais. Je dirais que je vais bien, et je leur ferais mon plus beau sourire hypocrite avant de partir me cacher sur le canapé ou dans ma chambre. Mes parents appellent ça « la crise d'adolescence ».

            Il est sept heures trente-cinq. J'ai déjà dix minutes de retard. Comment est-ce possible ? Je suis réveillée depuis plus de trois heures ! Je dévale alors les escaliers une dernière fois avant de sauter sur mon vélo et pédaler à toute vitesse pour ne pas arriver en retard au lycée. Habituellement, je pars à sept heures vingt-cinq pour arriver au lycée juste avant la sonnerie. C'est vrai que je pourrais attendre mes parents pour qu'ils me déposent plus près, comme ils le faisaient l'année dernière, mais monter dans une voiture est devenu l'une des choses les plus compliquées à faire pour moi depuis l'accident. Et puis ça m'évite aussi de passer ces quelques minutes silencieuses et vraiment très gênantes en compagnie de mes parents.

            Sur ma route je croise Hugo, mon voisin. Lui aussi est à vélo, mais lui, il ne semble pas être stressé par l'heure qui tourne. Après tout, c'est son genre. Il fait partie de mon ancien groupe de potes. Je le considérais même comme mon meilleur ami. On était toujours fourré chez l'un ou chez l'autre pour boire des bières et jouer au babyfoot. Ce n'était pas ce genre d'ami à qui on raconte tous nos problèmes et à qui on se lamente sur notre vie pourrie. Avec lui on rigole, on s'amuse, et surtout, on pense à autre chose. C'est pour ça que je l'aimais. Attention, je n'étais pas amoureuse, c'était mon ami, c'est tout. Mais après l'accident, il a préféré ne plus me parler, et c'est peut-être mieux comme ça. Ça ne sert à rien de s'attacher aux gens, puisque tout le monde fini par nous quitter, d'une manière ou d'une autre.

            « DRIIING ». Non ! Il est déjà huit heures moins le quart ! Je parcours les derniers mètres le plus vite possible. J'arrive devant le portail en croisant les doigts pour que le surveillant me laisse entrer sans heures de colle.

« - La sonnerie a déjà retentit jeune fille, tu connais la règle, fini-t-il par dire.

- Mais je n'ai que trente secondes de retard, vous ne pouvez pas me coller pour ça !

- Bien sûr que si, et tu as même deux heures de colles pour m'avoir répondu. »

            Je marmonne doucement, en passant le portail. Je suis en colère, mais plus contre moi-même que contre le surveillant, il mérite que je le remette à sa place. C'est de l'abus de pouvoir ! Mais je préfère rester discrète, je n'ai pas envie d'être collée toute la semaine. Mais franchement, pourquoi j'ai eu l'idée de m'inscrire dans un lycée aussi strict ?

            En rejoignant ma salle de classe, je passe sous le préau où se trouve encore les restes des photos, des fleurs et des souvenirs que les élèves et les professeurs avaient déposé en mémoire de Shanna. Voir tout ça, me rappelle le deuil que je suis en train de vivre. Des larmes coulent de mes joues. Je suis incapable de bouger jusqu'au moment où j'entends des pas s'arrêter derrière moi. Je me retourne aussitôt en m'essuyant les larmes. Hugo.

Le mouton noir Où les histoires vivent. Découvrez maintenant