Chapitre 1. 1ère partie.

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1er octobre 2013

5.4.3.2.1.0. 5 secondes pour me préparer au pire, à cette annonce jamais attendue, 5 secondes pour réfléchir à tout ce qui pourrait bien s'être passé aujourd'hui, à tout ce qui peut bien être susceptible de mettre ma mère dans des états pareil, 5 secondes pour voir ma vie défiler et y chercher la moindre faute commise. 5 secondes pendant lesquelles jamais, ô grand jamais je n'aurais pu ne serait-ce qu'imaginer ce que ma génitrice vient de m'annoncer. 5 secondes entre son appel depuis le rez-de-chaussée, paniquée et celui où j'ai descendu les escaliers pour la trouver assise dans le canapé. 5 secondes. 5 secondes et tout part en fumée. Tout s'envole. Tout explose. Les certitudes, la confiance que j'avais placée en lui. Les bases de la vie qui m'avait été apprises par celui si longtemps admiré. 5 secondes de vie. Puis plus rien. Le trou noir. Le chaos. Tout est brouillé. Tout est flou. Tout se mélange. Les projets d'avenir, les prochaines vacances et les prochains moments de joies. 5 secondes et tout ça n'a plus aucune importance. Le choc. Le déni. Le refus. Je refuse d'y croire. Je me renferme. Doucement. Sans que personne n'y prête attention. Tout se bouscule. Tout s'éteint. La flamme se consume. Lentement. Difficilement. Je suis vide.

Il est mort. Crise cardiaque. Il avait 64 ans. Ma mère se lève, je l'imite. On enfile une veste et des chaussures. Silence. On monte dans la voiture, elle démarre. Ma mère conduit dans le calme. Ma tête repose contre la vitre, quelques gouttes d'eau salées coulent le long de mes joues, silencieuses. Aucun n'ose parler. Il n'y a rien à dire. Il n'est plus là. Parti. Envolé. Evadé.

Ma mère pose une main sur mon genou. Trop pleins d'émotions. Je fonds en larmes. Je ne comprends pas. Je m'énerve. Je demande pourquoi, hurle à qui veut l'entendre que la mort s'est trompée de personne, qu'elle a arrachée à mon âme sa plus grosse partie. Je veux le rejoindre. Je crie au ciel que puisque c'est comme cela, qu'il est encore temps qu'elle m'emmène au passage. Mais non. Cela ne se passe pas comme ça. Je reste sur Terre, on me dit de continuer à vivre et d'en profiter puisque j'ai la preuve en ce jour que la vie n'est qu'éphémère. Mais je veux partir. Je ne vivrai plus. Pas sans lui. Pas sans mon pilier. Jamais. Ma vie s'est terminée aujourd'hui même. Mon cœur a arrêté de battre puisqu'il n'a plus de raisons de le faire. On dira que c'est excessif. Exagéré. Mais non. Tous mes espoirs reposaient sur les épaules de celui qui m'a quitté quelques heures auparavant. Et j'ai perdu tous mes repères. Désormais je suis seul dans le grand labyrinthe de la vie, sans boussole ni carte.

On sera chez lui bientôt, mais je ne veux pas monter. Il y a encore les pompiers, le médecin pour le certificat de décès et surtout, surtout, il y a là-haut, au sommet de la côte, les regards emplis de pitié qui me seront destinés. Je ne suis pas prêt. Je descends avant, j'entre dans une maison qui, à l'heure actuelle est censée être bien plus accueillante et chaleureuse que celle à laquelle je devrais faire face un peu plus tard. On m'accueille à bras ouverts. Je ne pleure pas. C'est terminé. Pour quelques temps. Je dois être fort. Je me fais le roc dont les gens ont et auront besoin dans les jours prochains. Je la prends dans mes bras. Ma grand-mère maternelle, rongée par le chagrin. Je tente de la calmer. Je réussis. Je tourne en rond dans le salon. J'ai besoin de bouger. J'hésite. Partir. Rester. Partir maintenant. Partir plus tard. Rester encore. Revenir après. Quelqu'un entre. Ma génitrice avance dans la maison très peu éclairée. Aucune question. Inutile. La mère de celle-ci est maintenant assise dans la cuisine, le regard dans le vide. Ma mère se tourne vers moi, m'interroge du regard. Je veux venir. Je veux monter. Je sais. Je suis conscient à quel point cela sera dur pour moi de les voir, tous. Et de le voir, lui. Mais c'est un besoin vital que de prendre réellement conscience de ce qui vient d'advenir. Ma grand-mère vient elle aussi. Les lumières s'éteignent, la porte se ferme. Le calme règne dans la voiture. Il faut 18 secondes pour franchir en voiture les quelques mètres qui me séparaient il y a quelques instants de la maison maudite. J'ai compté. 18 secondes. Pas assez. Jamais assez. Je ne suis pas prêt. Il fait noir. La nuit est tombée depuis quelques heures déjà et à l'inverse d'admirer les étoiles comme je le fais d'habitude, je les maudis. Je les déteste de ne pas être assez pour illuminer mon monde encore quelques instants. Je les hais de n'avoir pas retenu celui à qui je tenais plus que tout. J'avais confiance en elles. J'aimais les étoiles. Maintenant je n'aime plus rien que la certitude de pouvoir un jour rejoindre l'être aimé au-delà d'elles. J'entre lentement dans le bâtiment habituellement si plein de vie et de joie de vivre. L'air est froid. Sans aucune once de bonheur. Je fais face à la tension qui habite désormais la maison familiale. Je m'avance, traverse la cuisine qui débouche sur un salon terne à l'heure qu'il est. Empli de tristesse et de désespoir. On lève les yeux vers moi. Et ce que je redoutais se produit. Tous ces regards braqués sur moi, pleins de pitié, de compassion, de réconfort et de peur. La peur pour chacun de voir son monde détruit par l'abandon de l'homme, allongé dans la pièce d'à côté. Ils sont 6. Je crois. Je ne compte pas, cette fois. On me prend dans ses bras. On me murmure cette phrase infecte que l'on déteste entendre quand on vient de perdre quelqu'un mais que l'on s'acharne tout de même à répéter. Cette phrase toute faite, dénuée de sincérité. Ces trois mots qui sonnent mal dans la bouche de n'importe qui les prononçant. Ces trois mots qu'on emploie quand on ne sait pas quoi dire. Quand on n'a pas comprit encore qu'ils font plus mal encore qu'ils ne devraient rassurer ou être appréciés. « Toutes mes condoléances. » Aucun sens. Je les déteste. Ces 21 lettres qu'on me répétera sans cesse pendant des jours encore. Je ne dis rien. J'encaisse. Je m'assois. A côté on s'agite, des panneaux de bois ont été placés entre le salon et le couloir de façon à ce qu'on ne voit pas le corps être transporté jusqu'à la chambre dans laquelle il reposera le temps des visites. J'enfouis ma tête dans mes mains, mes coudes reposent sur mes genoux. Quelqu'un m'appelle. C'est mon père. Je me lève et le rejoins à la cuisine. Aucun mot échangé par rapport à ce que pourrait ressentir l'un ou l'autre. Le fils ou le petit-fils. On me demande une chose. Une chose difficile, que je suis clairement en droit de refuser. Mon père voudrait que j'annonce à mon parrain ce qu'il vient de se passer. Mon parrain. J'accepte. Je prends le téléphone et sors. Dehors l'air frais d'une nuit d'octobre m'accueille et m'apaise quelques peu. Je compte. 23 heures moins 6 heures, 17 heures. C'est l'heure qu'il est à Boston. Je tape mécaniquement les chiffres qui composent son numéro. J'attends. Une sonnerie. Deux sonneries. Trois sonneries. Un « Allô ? » et l'ombre d'un sourire sur mon visage.

Enfants de l'automne.Where stories live. Discover now