Chapitre 1. 2ème partie.

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2 octobre 2013

Je suis allongé sur mon lit. Le plafond blanc est tout à coup très intéressant. Je n’arrive  pas à dormir. Ses yeux m’obsèdent. Ils me regardent. Insistants. Ils sont pleins de peine, d’excuses et de remords. Je ne le supporte pas. S’il est parti, il ne doit pas s’en vouloir. Jamais. C’est à moi de lui en vouloir. Lui-même ne peut pas se blâmer. Et tant pis pour ma logique tordu. Moi seul peux lui en vouloir de m’avoir laissé tomber de cette façon. Sans au revoir, sans lettre. Rien. Je ne trouve pas le sommeil. Dans quelques minutes, mon réveil sonnera. J’irai au lycée aujourd’hui. Quitte à devoir subir toutes les questions sur mon regard vide de toute émotion, et mes futures absences, autant que ce soit fait tout de suite. La sonnerie émet un bruit sourd que je fais taire en quelques secondes. Je me lève difficilement et file sous la douche. Je m’habille. Je ne sais pas le temps qu’il fera. Un jean troué, un t-shirt, un gilet à capuche, une veste, ça ferait bien l’affaire. Une écharpe au cas où. Je ne mange pas. Je bois un verre de jus d’orange, me brosse les dents sans oser me regarder dans le miroir. Puis je me coiffe. Ses prunelles font renaître une nouvelle fois cette boule dans ma gorge. Je m’efforce de me contenir. Je croise ma mère en bas, lui adresse un bref sourire peu convaincant et sors. D’ordinaire, mon père m’aurait conduit à l’arrêt de bus. Mais il n’est pas là. Il est resté là-bas. Et de toute façon j’ai besoin de marcher. Je veux  sentir l’air s’infiltrer dans mes poumons même si je refuse de continuer à vivre sans lui. J’arrive à l’arrêt quelques minutes plus tard, attends le bus plusieurs secondes et m’installe dans celui-ci sans un regard pour personne. Je dénoue mes écouteurs et me plonge dans ma musique. Des larmes salées roulent sur mes joues. Personne n’est avec moi, personne qui n’aurait potentiellement besoin de mon soutient en tout cas. Alors je me laisse aller. Et tant pis si je passe pour quelqu’un de sensible aujourd’hui. C’est ce que je suis. Et le cacher ne mènerait à rien. J’arrive au lycée, m’essuie un peu les yeux et descends. On m’attrape le bras et me force à me retourner. J’ancre  mon regard dans celui de mon ami qui semble inquiet. Inquiet pour moi. Je tente de murmurer, au moins, la raison de mon état, mais j’en suis incapable. Alors le brun en face de moi secoue la tête et me prend dans ses bras. Dans une étreinte pleine de promesse et de soutient. J’avais besoin de ça. De savoir qu’on serait là pour moi, que j’aurai cette épaule sur laquelle me pencher pour verser mes larmes. Je m’effondre. J’éclate en sanglots et m’accroche plus fort encore à mon ami. Ce dernier ne comprend pas. Il fronce les sourcils mais se laisse faire. Puis il se défait de mes bras. Il me regarde intensément et attend que je sois capable de prononcer quelque chose qui l’aiderait à comprendre. Quand enfin j’ouvre  la bouche, je prononce trois mots. Trois mots qui suffisent au pakistanais pour comprendre. Trois mots qui résonnent en échos dans ma tête. Trois mots qui le laissent bouche-bée.

« Il est mort. »

Je n’ai pas eu besoin de mentionner son nom pour que mon meilleur ami sache de qui je parle. Il sait. Il est conscient que rien ni personne dans ce monde ne me mettrait aussi mal que la disparition de mon grand-père.

Il me prend par les épaules et me force à avancer. On doit rejoindre le bâtiment, on a cours dans 2 minutes. On marche lentement et Max doit presque me porter pour me faire monter les marches menant au premier étage. On s’assoit au fond de la salle, près de la fenêtre. J’admire le soleil haut dans le ciel. Je rêve, pense à lui. Sans cesse. Max prévient le professeur à la fin du cours, il ne veut pas que j’ai d’ennuis parce que je rêvasse en cours aujourd’hui. La matinée passe très lentement. Trop de mon point de vue. Le midi, on rejoint les autres. Encore une fois Max les met au courant. Aucune gaffe ne sera permise et pardonnée sur ce sujet. Au moment de remplir mon plateau, je n’ai pas faim. J’ai l’estomac beaucoup trop noué pour avaler quoi que ce soit. Mis à part peut-être de l’eau. Mais je prends tout de même une assiette et vais m’asseoir à la table où sont déjà installés mes amis. Je ne touche pas une seule fois à la semoule devant mes yeux, me contentant de jouer avec à l’aide de ma fourchette. Je dois avoir l’air hypnotisé par mon plat. Et lorsque je relève les yeux, je croise son regard. Quelques secondes. Quelques instants seulement. Assez pour le voir briller de bonheur. Et je mets ma tête dans mes mains. Je suis en colère. Moi aussi j’avais cette étincelle dans les yeux avant. Avant-hier. Avant ce drame qui a bouleversé ma vie pour l’éternité. Avant tout ça. Moi aussi. J’étais heureux. Avant. Maintenant, je suis détruit. Amoché. Trahit. Et cela se lit dans mes prunelles comme dans un livre. Je refuse de croiser ces yeux verts encore une fois. Trop heureux pour moi. Trop bien. Trop joyeux. Pas assez moi. Je ne supporte pas ça. Bien que je ne souhaite pas que tout les êtres humains que je croiserai soient aussi malheureux que moi. Mais je ne peux me résigner à croiser ce genre de regards opposés au mien en ces jours infernaux. Alors je me lève. Quitte la table. Laisse mon plateau, mes amis. Je m’en vais. Je quitte l’établissement sans aucun scrupule. Personne n’arien-à-dire. Personne. Ils ne sont personne.

Enfants de l'automne.Where stories live. Discover now