Chapitre 4:

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Chapitre 4 

Harry était là. Il est venu. Il souriait. Il me souriait. Alors je souriais aussi. Je lui ai expliqué. De A à Z en passant par toi. Pourquoi j'étais là. Pourquoi ça n'allait pas. Pourquoi je ne mangeais pas. Que tu n'étais plus là. Je n'ai pas pleuré. C'est lui qui l'a fait pour moi. Et quand je lui ai demandé pourquoi, pourquoi il pleurait comme ça, tu sais ce qu'il m'a répondu ? Il m'a dit qu'il pleurait parce que tu n'étais pas là. Et je n'ai pas compris. Parce qu'il ne te connaissait pas. Alors je lui ai demandé de m'expliquer. E t il l'a fait. Il a dit que non il ne t'avait pas connu, mais qu'il aurait aimé, qu'il aurait voulu savoir qui tu étais, parce qu'en me voyant parler de toi, en voyant à quel point tout ça, ça m'avait touché, lui aussi, il t'en a voulu, mais lui aussi, il a vu, que t'étais quelqu'un de bien, que t'étais toi et que je n'y arrivais pas quand tu n'étais pas là. Il a dit qu'en m'entendant lui raconter, il avait pu voir le trou béant qui s'était formé en moi depuis ton départ, la profondeur de mon désarroi. Et il m'a dit que ce n'était pas vrai. Que je disais n'importe quoi. Que je n'étais pas vide. Qu'au contraire j'étais tout. Mélange de sentiments, d'émotions et de contradictions qui valait le coup d'être étudié et d'être aimé. Il m'a dit : «Ca suffit. Ca suffit Louis. Tu vas sortir de ce putain d'hôpital et tu vas vivre. Tu vas vivre pour lui, pour ton frère, pour James, pour moi, et pour toi. Tu vas vivre pour toi. Parce que tout ça c'est n'importe quoi. » Et je n'ai pas aimé qu'il me dise ça. Parce qu'il ne me connaît pas. Il ne peut pas le prétendre et faire semblant de vouloir m'aider. Et je n'ai pas aimé parce qu'il avait raison. Alors je lui ai dit de partir. D'aller dire ses conneries ailleurs, que je n'avais pas besoin de lui, de ses conseils à la noix que je n'avais même pas demandé, qu'il n'était pas mon ami. Et il est partit. Il m'a regardé comme si j'étais un étranger et dans ses yeux verts j'ai pu voir à quel point je l'avais blessé, à quel point il était déçu de ma réaction. J'ai voulu le retenir mais il était trop tard et maintenant je m'en veux. Putain Louis t'es con. T'es débile. T'es infecte. Ingrat. Inutile.

« Comme ça ? » Je ris, un grand couteau de cuisine dans les mains, debout devant la table de jardin pour couper des courgettes. Il me prend la main et me montre comment faire puis je m'y mets, massacrant les légumes comme s'ils m'attaquaient et que ma vie en dépendait. Il me regarde et on éclate de rire. Puis le son de sa voix s'estompe, diminue jusqu'à disparaître totalement, en même temps que sa silhouette devient de plus en plus translucide jusqu'à ce qu'il ne soit plus là du tout. »

 

Je me réveille à nouveau en sursaut, je pleurs, je cris, je hurle, je suffoque.

Quelqu'un entre dans ma chambre et j'essaie de distinguer son visage à travers mes larmes, je cligne des yeux plusieurs fois afin de le voir plus nettement. C'est mon médecin. Le docteur Smith. Il s'assoit sur la chaise à côté de moi et me scrute. J'essuie mes larmes du revers de la main et tente de calmer ma respiration en soufflant doucement. Je m'assois en tailleur dans mon lit et je baisse la tête pour me calmer avant de diriger mon regard vers lui. Il me regarde mais ne parle pas, il me détaille et je vois dans ses yeux qu'il cherche à comprendre. Il croise mon regard et j'ai envie de lui sourire. Le coin de ma bouche se retrousse tristement puis je détourne à nouveau les yeux. Il reste là plus de 20minutes, puis il se lève et quitte la chambre en me lançant « A tout à l'heure, Louis. » avec un léger accent anglais auquel je n'avais pas fait attention lors de nos précédentes discussions. Je ne l'aime pas mais je dois reconnaître qu'il fait très bien son travail, même s'il est clair que je ne suis pas anorexique. Il prend le temps de passer me voir tous les jours, même plusieurs fois par jour, pour me demander si tout va bien. Ou si j'ai besoin de lui parler de quelque chose. Je lui ai chaque fois répondu négativement mais aujourd'hui c'est différent, il ne me l'a pas demandé mais sa présence m'a apaisée et s'il le fait, j'imagine que je me confierai à lui. Parce que j'en ai besoin. J'ai besoin de parler à quelqu'un, pas de tout, mais au moins de mes cauchemars. Ces satanés mauvais rêves constitués de tous mes souvenirs avec lui, qui me poignardent chaque fois un peu plus et me font terriblement mal. Je pourrais demander à voir une psy, mais je ne veux pas. Je sais que l'on ne voit pas une psy parce qu'on est fou, et peut-être que ça m'aiderait mais, m'allonger sur un canapé et raconter ma vie à quelqu'un que je ne connais pas et qui me fera payer 50€ la séance, franchement...ça me branche pas trop. Bon, d'accord, le docteur Smith, je ne le connais pas vraiment non plus. Mais il m'inspire quelque chose, de la confiance peut-être, de la sagesse, de la compassion, quelque chose qui fait que j'ai envie de lui parler, à lui. Je n'ai pas envie de discuter de ce qui me fait mal, de ce qui me rend mal à quelqu'un qui ne m'inspire rien, et je suis loin d'avoir le temps de faire le tour de tous les psychologues de la région pour en trouver un qui me corresponde.

Enfants de l'automne.Where stories live. Discover now