9. La famille

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Dix-sept heures. Les effets de l'herbe au réveil n'ont jamais été un mythe. Je ne les ai expérimentés qu'une seule fois, il y a trois ans, et j'ai l'impression qu'ils se renforcent avec l'âge. Je plane complètement sur le trajet qui mène à chez moi. Je suis consciente que je vais me prendre un voyage pour avoir fugué une fois de plus, et pas des moindres, mais ne pas rentrer du tout serait une décision suicidaire.

Je commence à redescendre en arrivant à la résidence. Il va falloir la jouer fine, car je suis certaine que Daphné m'attend de pied ferme pour me tomber dessus. Une fois devant la porte, je prends une grande inspiration avant de tourner ma clé dans la serrure.

J'entre et je referme la porte en posant mes clés sur la console dans l'entrée. L'appartement est plongée dans une semi-obscurité, faiblement éclairé par les rayons plus doux du soleil déclinant. Depuis l'entrée du salon, j'aperçois Thierry qui dort sur le canapé sous une couverture. Je m'approche de lui sans bruit et l'observe un instant. Il a l'air tellement plus paisible dans son sommeil, quand les soucis ne lui crispent pas les traits. Je me penche vers lui et je réajuste délicatement le plaid qui a glissé pour qu'il soit mieux couvert. Je n'ai pas terminé mon geste que j'entends la porte de la chambre de Daphné s'ouvrir.

Elle se plante dans le couloir, de façon à me voir, sans pour autant entrer dans le salon.

- Salut, lance-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

Elle ne fait pas le moindre effort pour baisser sa voix afin de ménager Thierry. Ce qui veut dire qu'elle est très, très fâchée. Tout dans son attitude, sa posture raide et son regard froid me le confirment. Elle n'a plus rien du petit oisillon fragile ou du chien battu.

Ce n'est pas pour autant que je devrais avoir peur d'elle. Je sors du salon et je passe devant elle sans m'arrêter en marmonnant entre mes dents :

- Je vais me coucher.

- T'es sérieuse ? m'interpelle-t-elle.

Je fais volte-face. Ses cernes n'ont pas diminué.

- Tu disparais encore et la seule chose que tu trouves à dire, c'est « je vais me coucher » ? me balance-t-elle à la vitesse d'une mitrailleuse.

- Bah je suis fatiguée, j'y peux rien, je réplique avec tout autant d'hostilité.

- T'as ruiné l'enterrement de maman ! s'enflamme Daphné tandis que je fais demi-tour. LOLA !

- Parle moins fort, y a ton père qui dort, dis-je en revenant face à elle.

Elle se tait. J'enchaîne :

- Mais qu'est-ce qui te fait chier, au juste ? Ce que j'ai dit, ou que je l'aie dit devant tes potes ?

- Mais à ton avis ? (Elle me regarde comme si je l'avais giflée.) Les deux, putain !

- Ah ouais ? Mais c'est la vérité. Ce que tes potes peuvent bien en penser, honnêtement, on s'en fout. Et tu devrais faire pareil. T'accordes trop d'importance à ce que les gens pensent, Daphné.

Au fur et à mesure de mes paroles, ses yeux s'emplissent de larmes.

- Mais Lola, maman est morte ! Tu peux comprendre ça ? (Son ton se durcit.) Tu peux comprendre qu'on est tristes ?

- Et toi, tu peux comprendre que je suis vénère ? j'aboie en élevant encore plus la voix.

Une larme roule sur la joue de Daphné. Au lieu de me radoucir, cela ne fait que nourrir ma colère.

- Putain mais c'est ouf, ça ! j'explose. On dirait que depuis qu'elle est morte, on devrait tout oublier ! Combien de fois elle a oublié de venir me chercher à l'école ? Combien de fois on l'a retrouvée ici toute bourrée, là ?

Cette obscure clarté [Skam France saison 6]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant