12. Bande de filles

303 11 8
                                    

Elle ne cherche pas à me retenir. Je ne regarde pas derrière moi pour m'en assurer, parce que je m'en fous. Evidemment que je m'en fous ! Pourquoi un petit accrochage avec une fille que je connais à peine et qui se préoccupe plus des baleines que des gens devrait m'affecter ? Je secoue la tête toute seule dans le vide pour essayer de fermer le clapet de la petite voix dans ma tête. « Arrête. Tu ne trompes personne. »

Je me rapproche d'un groupe qui s'occupe également de retourner la terre sur les flancs de la station, à la différence que les gens utilisent cette fois des instruments normaux. Je me demande vaguement si Maya connaît l'existence des pelles et des râteaux ou si elle préfère se la péter avec des grelinettes, puis je me rappelle que je suis censée ne pas penser à elle. Personne ne me demande pourquoi j'ai subitement changé de groupe, ce qui me convient parfaitement. J'aide à planter des graines de végétaux dont je n'ose demander le nom, préférant travailler en silence, comme un robot. Lorsque mon ultime heure de TIG s'achève enfin, je soupire de soulagement. Je suis la première à abandonner ma combinaison pour me changer à la vitesse de l'éclair. Je remonte les rails en direction de la sortie en essayant de me faire la plus discrète possible. Peine perdue. Maya m'interpelle dans mon dos.

- Lola, attends...

Je m'immobilise, le corps tendu comme un arc. Je ne l'entends pas se rapprocher. Elle doit prendre soin de garder ses distances. La voix de Maya s'élève de nouveau, calmement.

- On pourrait...

- Tu me connais pas, dis-je sans me retourner.

Je prends soin d'articuler chaque mot.

- A un de ces jours, Maya.

Je m'éloigne. Je ne l'ai toujours pas regardée.

Je me demande si je la reverrai un jour.

Je devrais être euphorique d'avoir enfin terminé mes TIG, mais mon départ de la Petite Ceinture a un goût étrangement amer. J'attribue ça au fait de devoir passer le reste de la journée jusqu'au lendemain matin avec Daphné, à défaut de Thierry. Je profite de l'après-midi pour me racheter des clopes et pour revenir aux alentours de la tour Pleyel, là où j'ai pris des tonnes de photos le jour de la mort de maman. J'ai envie de revoir le raton-laveur.

Il est toujours là, à m'observer depuis son mur. L'obsession d'Eliott pour cet animal m'intrigue ; je photographie le tag et l'envoie en photo à son auteur présumé. Il me répond en moins d'une minute : « Aha oui, c'est bien moi. Je dessine pas que sur le papier ;) »

« C'est ton animal préféré non ? »

« Yes !! »

« Je pourrais savoir pourquoi ? »

« Mais parce que c'est super cool les ratons-laveurs ! En plus ils portent un masque ! »

Je regarde à nouveau le tag. Effectivement, l'œil cerclé de noir me fait penser à un masque. Eliott doit être un fan de super-héros. Moi-même, je suis bien obligée d'avouer que je commence à trouver les ratons-laveurs mignons.

Je pénètre dans l'appartement bien après dix-huit heures, en évitant le bruit au cas où je tomberais encore sur mon beau-père en train de dormir. Mais cette fois, c'est Daphné qui occupe le canapé, enroulée dans le même plaid que Thierry l'autre soir. Avec les mêmes yeux cernés et rougis. Et devant la même émission débile qu'elle regarde tout le temps à la télé. Daphné adore Une saison au zoo. Quand elle avait sept ans, elle rêvait de devenir vétérinaire et tannait ma mère pour avoir un chien. Et un chat. Et un lapin. Et un poney. Thierry était tellement papa gâteau avec elle qu'il était prêt à céder à tous ses désirs. C'est ma mère elle-même qui lui a rappelé qu'on n'avait pas les moyens, le comble. Evidemment, à l'époque, elle n'a pas donné cette raison-là à Daphné : l'excuse, c'était qu'on manquait de place et que les pauvres petits animaux ne seraient pas heureux enfermés. Daphné avait pleuré pendant quelques jours, puis elle avait fini par s'y résigner. Elle n'a plus jamais reparlé d'animaux depuis lors. Tout comme moi, elle a compris qu'il existe un fossé entre les familles qui ont les moyens de payer des cours d'équitation à leurs enfants et les autres. Aujourd'hui, Daphné se destine à faire du marketing et elle va entrer en licence de communication l'an prochain. Les doux rêves de sauvetage d'animaux en détresse se sont envolés depuis longtemps. Et pourtant, je sais qu'elle dort encore, à presque dix-huit ans, avec son lapin en peluche qu'elle a eu à la naissance. Certains rêves d'enfant ne disparaissent jamais.

Cette obscure clarté [Skam France saison 6]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant