Chapitre 1 - La petite boîte

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Maxime et Clémentine se marièrent un après-midi de décembre. A couple atypique, mariage atypique, aucun des convives ne fut surpris en réceptionnant le faire-part annonçant l'événement.
Au début du mois de juillet la même année, ils louaient tous les deux une petite maison sans charme au bord de l'étang de Thau depuis une semaine seulement lorsque Maxime demanda sa main à Clémentine. Elle s'était chargée de l'état des lieux seule et la bicoque débordait des affaires qu'elle avait apportées de son ancien appartement. Pendant ce temps, Maxime s'apprêtait à quitter Toulouse, son diplôme en poche. La porte de son logement étudiant s'était refermée sans qu'il ressente la moindre émotion, si ce n'est celle de retrouver Clémentine au plus vite dans sa ville natale. Cinq années. Mille huit cent vingt-cinq jours. C'est le temps qu'ils avaient vécu ensemble mais à distance, avalant les kilomètres les week-ends. La première année, Maxime sautait dans le train aussitôt ses cours du vendredi terminés pour rejoindre Sète au plus vite. Il rentrait chez ses parents, mais à peine Chloé et Alex salués – et Judith, sa jeune sœur, quand elle était présente –, il filait chez celle qu'il ne se privait pas d'appeler l'amour de sa vie. Tout le monde pensait alors que leur idylle ne durerait pas. Une relation à distance, c'est toujours compliqué. Alors, eux !
Très vite, Maxime rassembla toutes ses économies pour financer son permis de conduire. La voiture d'occasion qu'il dégotta ensuite, il put se l'offrir grâce à une aide financière substantielle apportée par Clémentine. Sa fierté en prit en coup, mais il s'était laissé convaincre. Il faut dire qu'elle s'était montrée persuasive, arguant que s'ils devaient avoir un avenir commun, partager les dépenses était bien naturel. Ils cumulaient assez de difficultés pour ne pas en ajouter. Très vite aussi, il fit l'inverse : il rentrait directement chez Clémentine, et tentait de trouver un moment pendant le week-end pour aller saluer ses chers parents.
La deuxième année, l'emploi du temps de prof de Clémentine les arrangea énormément : il était vierge de tout cours le lundi jusqu'à 15 h. Ils ne surent jamais si c'était par pur hasard ou si c'était un coup de pouce de Sandrine, la proviseure du lycée, mais ils en profitèrent allègrement. C'est toujours Maxime qui revenait. Clémentine avait essayé de lui rendre visite à Toulouse à quelques reprises, mais la vie étudiante qu'il menait là-bas n'avait rien de comparable avec l'avenir qu'ils essayaient de construire à Sète, et elle ne s'y sentit jamais à l'aise.
Après sa licence un an plus tard, Maxime avait voulu rentrer pour démarrer dans la vie active, mais Clémentine savait qu'en interrompant ses études à ce stade il ne pourrait pas prétendre à la carrière dont il avait toujours rêvé. Il avait eu du mal à comprendre qu'elle se batte pour qu'il termine son cursus universitaire à Montpellier alors qu'il voulait qu'une seule chose : être auprès d'elle. Les disputes devinrent si fréquentes qu'ils faillirent rompre cet été-là. Clémentine partit trois semaines entières randonner dans les Hautes-Alpes, ignorant les appels et les messages de Maxime.
— J'ai besoin de réfléchir, avait-elle annoncé.
— C'est évident que ça se passerait comme ça ! avait-on dit à Maxime.
— Hey, Max ! Une de perdue, dix de retrouvées, hein !
— Tu es jeune, tu l'oublieras !
— Qu'est-ce que tu imaginais ?
Quand il en eut marre de ces remarques qui ne lui remontaient pas le moral, Maxime prit le train jusqu'à Gap, l'autocar jusqu'à haut dans la montagne, attendit deux jours et deux nuits dans la station où Clémentine avait pris une chambre, l'engueula quand enfin elle revint de sa randonnée dans le parc national des Ecrins, la serra dans ses bras jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus respirer, et ensemble ils levèrent un à un tous les doutes qui les inquiétaient, comme autant de malédictions brisées.
Donc quand il rentra ce soir-là de juillet, le coffre plein de toute sa vie étudiante, Maxime surprit Clémentine en plein aménagement. Le canapé, qui une minute auparavant faisait face à la baie vitrée donnant sur le jardin, trouva sa place contre le mur opposé. Elle se tenait face au meuble, les mains sur les hanches, les sourcils froncés, se demandant si finalement ce n'était pas mieux avant. De la sueur perlait sur sa tempe et le long du décolleté de sa brassière en tissus synthétique rose. Pour être à l'aise, elle avait revêtu une de ses innombrables tenues de sport. Il la trouva magnifique.
Le sac à dos de Maxime quitta son épaule et se posa lourdement au sol, ce qui eut pour effet de faire se retourner Clémentine.
— Mon cœur ! Tu es déjà là !
— Je vois qu'il y a encore du boulot ! commenta Maxime en avisant le nombre impressionnant de cartons jonchant le sol.
— Dis-donc ! Tu as cru que j'allais m'occuper de tout toute seule ?
Elle le rejoignit. Il l'enserra. Ils s'embrassèrent.
— Va te doucher, dit-il, je t'emmène dîner dehors.
Pendant qu'elle se préparait, il installa ses affaires dans la chambre principale de la maison – leur chambre – et troqua son tee-shirt pour une chemise blanche, qu'il laissa négligemment hors de son jean. Il jeta ensuite un œil à ses baskets pour s'assurer qu'elles étaient à peu près propres. Avant que Clémentine ne fasse son apparition dans la pièce, se déplaçant sur la pointe de ses pieds nus, son corps et sa tête enveloppés dans d'épaisses serviettes éponge, il eut juste le temps de glisser la petite boîte dans la poche de son pantalon.
Plus tard, attablés en terrasse, ils trinquèrent, les yeux dans les yeux. Clémentine insista pour du champagne.
— A ton master !
— A notre emménagement ensemble ! rétorqua Maxime.
Les soirées de juillet à Sète étaient longues et douces. Le ventre alourdi par les délices du restaurant du bord de mer qui avait eu leur préférence, les cœurs pleins de s'être enfin retrouvés sans l'angoisse d'être de nouveau bientôt séparés, les mains jointes et le pas lent, ils se promenèrent sur le sable. Au bout de quelques centaines de mètres, alors que la ville s'éloignait et que la plage devenait déserte, ils s'arrêtèrent et firent face à la mer. La luminosité déclinante formait un voile noir sur l'onde, qui clapotait paresseusement. Dans sa main droite, Maxime sentait les doigts de Clémentine entremêlés aux siens. Son pouce, son index, son majeur, son petit doigt. Son annulaire. Dans sa poche gauche, il tournait et retournait la petite boîte de velours rouge.

Et s'aimer encore  (Demain nous appartient - Clemax - NOUVELLE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant