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Il doit être environ deux heures et demi du matin, quand je les entends enfin sortir de la maison. J'attends de voir les phares s'éloigner pour être sûre, puis je repousse les couvertures d'un coup sec et me lève, déjà habillée et prête à partir. Je dévale les escaliers en courant, prends ma veste au passage et sors en trombe de la maison. Je cours jusqu'à la voiture de Basil, qui est restée cachée toute la soirée derrière les arbres. Il dort encore quand je tape à la fenêtre. Une fois que j'ai grimpé, il démarre au quart de tour. Il ne tarde pas à les rattraper. On roule à bonne distance pour ne pas éveiller les soupçons. L'habitacle reste silencieux durant le trajet, tous deux concentrés sur la route. Le 4x4 de mon père bifurque sur un chemin à travers les bois. Basil freine et s'engage au ralentis sur le chemin, feux éteints. Mon père a prit un peu d'avance mais ce n'est pas plus mal, ça devient plus compliqué de passer inaperçus. On les suit encore sur une cinquantaine de mètres avant que je lui demande de s'arrêter. Ils vont nous repérer. Le 4x4 continue d'avancer, et on a tout juste le temps de sortir du véhicule avant qu'il ne disparaisse derrière un virage. On trottine tous les deux jusqu'au virage, et je suis soulagée de voir la voiture au bout du chemin. Ils s'arrêtent un peu plus loin.

— Qu'est-ce qu'ils viennent faire ici à une heure pareille ?

J'ai chuchoté, mais Basil me donne un coup de coude pour me faire taire. On se cache derrière des arbres, les observant en silence. De là où on se trouve, on les entend à peine. Je décide d'avancer un peu malgré le regard lourd de sens de Basil. Au fur et à mesure, je distingue mieux leur conversation.

— Comme hier soir. S'il y a un soucis vous appelez, je ne serai pas loin. Ne tirez pas, on observe. Il faut en choper un vivant, sinon ça n'aura servi à rien de venir ici.

— Oui tu nous l'as déjà dit, se plaint Aiden.

— C'est pour ça que tu as tiré hier soir ? Et en plus tu l'as loupé. Tu m'as habitué à mieux.

Il fait un signe de la main, la pivotant en l'air, et ils se dispersent en deux groupes. Mes frères ensembles et mon père seul. Basil et moi suivons mes frères. À deux, il y a plus de chances qu'ils discutent et laissent échapper une information. Ils avancent en silence pendant plusieurs minutes avant qu'Aiden ne grommelle sur la remarque de notre père. Mon frère râle durant cinq bonnes minutes, jusqu'à ce que Jay le fasse taire et qu'ils s'accroupissent. Je peux les entendre de là où nous sommes.

— L'empreinte date d'il y a à peine une heure, on doit continuer. Préviens papa qu'on va à l'Est, qu'il soit sur ses gardes.

Aiden sort un talkie-walkie de sa poche.

— Alpha et Juliette à Lima, on prend Echo. Traces de moins d'une heure.

— Lima à Alpha et Juliette, ok Echo. Prudence, je vous suis, j'entends mon père répliquer à travers les grésillements de la radio.

Les garçons avancent et Basil me retient de les suivre. Dès qu'ils sont assez loin, il s'empresse de prendre leur place près de ladite trace. Je le talonne et on y découvre une empreinte partielle d'un animal. Ils chassent ? C'est tout ? Mais pourquoi ils voudraient attraper un animal vivant dans ce cas-là ? J'éclaire l'empreinte pour mieux voir, et même si elle est un peu effacée, on peut reconnaître celle d'un canidé. Un grand canidé en fait. L'empreinte est plus grande que ma main. Je frissonne violemment. Mais comment ils peuvent chasser un animal aussi gros ? Et puis, c'est quel genre d'animal d'ailleurs ? Je n'en connais aucun qui soit si gros dans la race des canidés. Rien qu'à voir la taille de l'empreinte, j'ai peur de savoir à quoi il ressemble. Basil me prend par la main et me tire en arrière. On rebrousse chemin jusqu'à la voiture et il me ramène dans le même silence qu'à l'aller. Il s'arrête à l'entrée du chemin.

— Je ne comprends pas ce qu'ils trafiquent. Et, quel genre d'animal peut être aussi gros ?

Je tourne un regard désespéré vers lui, mais il n'a aucune réponse à me donner. Il pose simplement sa main bouillante sur la mienne gelée, et la serre doucement. À son contact, un agréable frisson parcourt tout mon corps. Sa chaleur est la bienvenue, j'ai envie de me blottir dans ses bras forts et rassurants.

— Rentre et repose-toi, tu y verras plus clair demain, me conseille Basil.

J'hoche doucement la tête en guise d'approbation, le remercie sincèrement et sors de la voiture. Il repart rapidement, n'attendant pas que je sois à la porte cette fois. Je traîne des pieds jusqu'à la maison et entre sans conviction dans la demeure vide et sombre. Les escaliers grincent sous mes pas las. Quand je me glisse dans mon lit, il ne paraît pas aussi chaleureux que plus tôt dans la soirée. Toute cette maison paraît plus froide. Il doit être un peu plus de quatre heures, ils ne vont plus tarder. Si j'arrive à attendre, je pourrais écouter le débriefing de la soirée et peut-être obtenir d'autres informations. De ce que je sais déjà, ils chassent des animaux géants et dangereux qui vivent dans les bois. Mais pourquoi ils voudraient en attraper un vivant ? Pour l'étudier ou le revendre ? L'un ou l'autre c'est horrible. J'attends à peine une demi heure avant qu'ils ne reviennent, je suis rentrée à temps. Comme la veille, je vais écouter à la porte ce qu'ils disent.

— On les a presque, il faudra attendre la prochaine pleine lune pour les attraper. En attendant, plus de sorties nocturnes, ils ne doivent pas changer d'endroit. Ça serait dommage de les louper, lance mon père.

— Et celui qu'on arrivera à attraper, tu veux qu'on le mette où en attendant la fin de la nuit ? demande Aiden.

— On va lui injecter un petit produit pour qu'il dorme quelques heures.

Je referme la porte, c'est trop. Il vont torturer cet animal ? Je préfère ne pas savoir ce qu'ils vont lui faire, ça me fait mal au coeur. Je suis contente que Basil n'ait pas entendu ça, ce n'est pas une fierté. Mais d'un autre côté, j'aurai aimé qu'il soit là avec moi et qu'il m'aide à comprendre. Qu'on discute le reste de la nuit d'hypothèses sur ce qu'ils fabriquent toutes ces nuit à l'extérieur. Je soupire et me tourne dans le lit. Ce garçon me retourne le cerveau. Je pense tout le temps à lui, comment on fait pour que ça s'arrête ? J'ai besoin de me concentrer pour comprendre ce qu'ils me cachent eux trois en bas. Même si j'adore passer du temps avec lui, surtout pour faire le mur et suivre mon père dans ses excursions, je crois qu'il faut que je me concentre d'abord sur mes problèmes de famille, avant de vouloir me lancer dans une relation avec Basil. C'est décidé, je ne tenterai rien avec ce Dieu vivant avant d'avoir découvert ce que ma famille me cache. 

Cursed Huntress⏤ original storyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant