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Les vitres ouvertes, le son Naked de X Ambassadors en fond, je sinue au gré des virages de bon matin. Le soleil se lève face à moi, m'offrant un magnifique panorama dégradé rose-orange incandescent qui m'éblouit. Le temps est doux pour une journée de Novembre. J'ai quand même un pull-over, mon bombardier et des bottines au cas où. La douceur de la forêt disparait petit à petit pour laisser place au béton brut de la ville. Il est tôt, mais il y a déjà du monde qui circule à cette heure-ci. Je ne me presse pas, préférant ne pas arriver trop à l'avance en cours. Mon ventre se tord au rappel de la journée qui arrive. Je déteste les premiers jours au lycée, j'ai l'impression d'être un animal de cirque. Tout le monde te regarde de biais, te pointe du doigt, ou cherche à te parler. Ça me demande beaucoup d'efforts pour ne pas en plaquer un au sol quand il ne comprend pas que je ne veux pas parler. Je décrispe mes mains du volant, et souffle un bon coup pour essayer de me relaxer. Ça ne fonctionne pas vraiment, mais je peux toujours m'en convaincre.

La circulation se complique aux abords du lycée, entre les bus et le nombre de voitures qui cherchent à se garer. J'avance au pas, et fini par entrer dans le parking. Une place est libre quelques mètres plus loin, je m'y engouffre et coupe le moteur. Malgré les vitres closes, j'entends le bourdonnement des conversations, les klaxons et les rires des élèves. Je jette un oeil dans le miroir de courtoisie. Aucun de mes cheveux bruns cuivrés ne dépasse, mais mon air sérieux ne trompe personne. Je soupire et rabats le pare-soleil d'un coup. Quand faut y aller, faut y aller. Je sors et me dirige vers le bâtiment rayé blanc et brique. À l'accueil on me fournit mon planning, un plan de l'école et un numéro de casier. Ils sont assez sympas pour me donner un cadenas. Je commence dans un quart-d'heure avec histoire. Tant mieux, un cours que j'aime pour débuter la journée. Il me reste assez de temps pour déposer mes affaires dans le casier avant la sonnerie. En traversant les couloirs, je sens les regards se poser sur moi. Le rouge me monte aux joues. J'enfile mes écouteurs pour dissuader quiconque de m'adresser la parole. Mais visiblement, ce n'est pas aussi efficace que je le voudrais. Une fille aux longs cheveux roux bouclés et aux yeux bruns en amande s'approche tout sourire. Elle s'appuie d'une épaule contre le casier voisin au mien, et me regarde un instant.

— Salut, dit-elle d'une voix douce, je m'appelle Amelia. Tu peux tout à fait me jeter si je t'ennuies, mais si tu as besoin, n'hésites pas à me demander, ça sera un plaisir.

J'esquisse un léger sourire. Elle a l'air habituée. Je retire mon second écouteur.

— Théa, je réplique, j'ai cours avec Monsieur Chapman à la première heure. Tu me dirais quoi sur lui ?

Un large sourire se dessine sur le visage d'Amelia, et elle se lance dans un discours sur chacun des professeurs que j'ai. On a plusieurs cours en commun dans la journée, ce qui la ravi. Elle ne me pose pas beaucoup de questions, à mon plus grand bonheur. En avançant en direction de mon cours, Amelia salut du monde et m'évite de répondre cinquante fois aux mêmes questions. «Tu viens d'où ?», «T'es arrivée quand ?», « Pourquoi tu as déménagé ? ». Grâce à elle, le quart-d'heure passe vite et je n'ai pas à attendre seule à une table que le cours commence. Monsieur Chapman, un quarantenaire avec une chemise à carreaux grise et une barbe rousse de quelques jours, prend cinq minutes avec moi pour savoir où je me situe dans le programme, il est soulagé d'apprendre que j'ai de l'avance. Les heures de cours s'enchainent vite jusqu'à la pause de midi où je retrouve Amelia au réfectoire, elle m'a gardé une place. J'angoisse un peu de me retrouver avec elle et tous ses amis, mais finalement il n'y a que deux autres filles. En voyant le nombre de personnes qu'elle salut, on n'aurait pas cru. Elle me propose qu'on se voit dans la semaine pour faire le point sur mes cours, et qu'elle me file ce qui me manque. Je reste frileuse, mais se voir à la bibliothèque après les cours de demain, ça devrait le faire. J'ai l'habitude d'y rester pour mes devoirs de toute façon. Aujourd'hui je n'ai vraiment pas envie de rester plus qu'il ne faut. Quand j'ai fini les cours à quinze heures, il se met à bruiner. Je traverse le parking dans un sens, puis dans l'autre, avant de repérer la voiture. D'un gris clair brillant, c'est une citadine assez récente et confortable. La pluie commence doucement à s'accélérer, je vais devoir me dépêcher de rentrer. Le ciel est si sombre comparé à la côte californienne, je suis obligée d'allumer les phares en plein après-midi.

Arrivé à la maison, je suis toute seule, les garçons travaillent encore. C'est si calme et triste sans eux. Je traîne des pieds jusqu'au salon, où se trouve une bibliothèque murale et une grande cheminée. Mes doigts glissent sur les arêtes des livres, à mesure que mes yeux décrivent les titres des bouquins. Rien ne me donne envie dans l'immédiat. Mes pas me mènent à la cuisine. La faible lumière du soleil pénètre la pièce de part et d'autres à travers les nombreuses vitres. Cela fait longtemps que le jardin n'a pas été entretenu. L'herbe y est abondante et chatoyante après la pluie de tout à l'heure. Ça me donne envie d'y glisser mes pieds nus dedans. Soudain, je sais ce dont j'ai envie. S'il y a bien une activité que je peux faire où qu'on aille, c'est courir dans les bois. Avec le travail de mon père, les forêts ne sont jamais bien loin. Je monte en courant à l'étage, et retire mes vêtements pour enfiler un legging, un t-shirt à manches longues près du corps et une veste à capuche.

Respirer l'air encore humide à pleins poumons me revigore. L'avantage de cette maison, c'est qu'elle donne directement sur les bois. Je m'enfonce sans hésiter au milieu des arbres, foulant la terre mouillée au rythme des musiques d'Imagine Dragons. Après une dizaines de minutes, ma tête se vide, mon coeur se régularise et ma foulée s'automatise. Le temps passe, je découvre les chemins et savoure l'odeur de l'herbe trempée. Mes jambes s'alourdissent et ma course se fait plus lourde et puissante. La brise qui me caresse le visage essuie la sueur sur ma peau, baissant la température de mon corps et rendant l'exercice plus agréable. Je sens mes longs cheveux battre dans mon dos à répétition, et par moment, venir me fouetter brutalement le visage. Les muscles de mes cuisses commencent à chauffer. Je secoue la tête et persévère, je peux continuer. Mais au bout d'un moment, mes sens prennent le dessus sur le plaisir et je retire discrètement un écouteur, faisant semblant de remettre une mèche de cheveux derrière mon oreille. Dans ma poche, je coupe le son de la musique et me concentre sur les bruits autour de moi. J'entends mes pas frapper le sol de façon régulière, j'entends le vent agiter les feuilles des arbres au-dessus de moi, les animaux se frayer un chemin à travers les buissons tout autour. Mais également un souffle. Un autre que le mien. 

Cursed Huntress⏤ original storyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant