|9|

19 4 0
                                    

Vu le temps à l'extérieur, il peut faire une croix sur la jolie robe. J'attrape un jean saillant et un t-shirt à manches longues à sequins noir. La buée s'est évaporée dans la salle de bain. Mon jean me colle à la peau avec l'humidité, et mes cheveux trempés me dégoulinent dans le dos. Je me maquille rapidement : un trait d'eye-liner, du mascara, du blush et basta. Je me sèche les cheveux aussi vite que possible, et ressors après dix minutes. Il ne me reste plus qu'à enfiler mes boots à talons et quelques bijoux, et le tour est joué. Basil s'approche de la fenêtre pour sortir.

— Mais moi je ne sors pas par-là, j'hoquette.

— Tu comptes leur dire quoi en bas ?

— Que je vais chez Amelia.

Il me jauge, dubitatif.

— Papa tu sais, Amelia est encore sous le choc de ce qu'il s'est passé aujourd'hui, elle préfère que je viennes passer la soirée avec elle. On va rester chez elle, sûrement regarder un film et se coucher tôt. Demain on n'a pas cours de toute façon, ça ne risque rien.

Basil revêt un sourire éblouissant. Mes talents d'actrices l'ont convaincus, il me donne rendez-vous en bas dans cinq minutes. Pour coller à mon histoire, je dois changer de t-shirt et de chaussures et les mettre dans un sac. Pour le maquillage, j'avais le même dans la journée, ils ne verront pas la différence. C'est parti. Je descends les escaliers et vais directement dans la cuisine voir mon père. Il fronce les sourcils en voyant ma tenue.

— Tu n'as pas pris ta douche ? s'enquit-il.

— Si, mais Amelia m'a appelée. L'incident avec les types de cet après-midi, ça l'a complètement bouleversée. Elle voudrait que je passe la soirée chez elle, elle n'est pas tranquille avec ses parents qui sont absents tout le week-end.

Oui j'improvise, mais je le sens bien. Mon père tord ses lèvres, signe qu'il réfléchit. Là je dois attaquer pour finir de le convaincre.

— De toute manière on ne va pas bouger de chez elle, on va sûrement regarder un film et parler. C'est juste histoire de la rassurer. Demain on n'a pas cours, et je suis à jour dans mes devoirs et révisions.

— Pour ça je ne me fais pas de soucis, tu as toujours été studieuse.

Il inspire et me balaie du revers de la main.

— Bon, aller. Va réconforter ta copine. Tu as besoin de monnaie pour vous commander un truc à manger ?

Je retiens le large sourire qui me démange les commissures des lèvres.

— Non t'inquiète, on va se cuisiner un truc. Merci papa, t'es le meilleur !

Je claque un bisou sur sa joue et file en vitesse, attrapant mon bombardier en passant. Arrivée à la voiture de Basil, je décide de monter à l'arrière.

— Tu peux me le dire si je pue, pas la peine d'aller derrière.

Je lui montre le sac, mais il ne comprend pas.

— J'ai dû me changer pour faire coller mon mensonge. Donc là il faut que je remettes le bon t-shirt. Donc si tu veux bien, il faudrait que tu te tournes.

Il obtempère, mais je vois son regard dans le rétroviseur intérieur. Je lève les yeux au ciel et me tourne autant que me le permet cette mini banquette. D'un mouvement souple, j'ôte le pull noir, le fourre dans le sac et en sors celui à sequins. Je jette un coup d'oeil à Basil, et le surprends à zieuter son rétro. Il fait semblant d'observer la pénombre ; je secoue la tête. Une fois le top enfilé, je me contorsionne pour passer devant. Basil démarre et je change de chaussures en essayant de ne pas toucher son tableau de bord. Heureusement que je suis assez souple. Sur le trajet, je ne cesse de me demander pourquoi j'ai accepté d'y aller. La seule chose qui m'a poussée à accepter, c'est mon envie de le voir. Je m'étais pourtant interdit de le côtoyer avant d'avoir résolu mes problèmes ! Mais je n'arrive pas à lui résister, c'est un fait. Et malgré tous mes efforts, il suffit qu'il se pointe chez moi à l'improviste avec sa bouche en coeur, et je craque. Je suis pitoyable.

La voiture de sport quitte la route nationale pour rejoindre un cul-de-sac. Basil se gare à côté des autres véhicules. On entend déjà la musique et le bruit des conversations d'ici. Quelle connerie j'ai encore fait de venir moi ? On sort tous les deux, et je le laisse passer devant pour me guider. Il porte un jean foncé ajusté et un t-shirt à manches longues noir. On traverse un joli pont en bois avant d'arriver au fameux feu de camp. Plusieurs petits feux ont été installés à travers une clairière, des guirlandes sous suspendues aux arches en bois qui abritent trois bancs disposés en cercles. Les gens se regroupent autour de barils ou de tables de camping éparpillés dans l'étendue. Je ne pensais pas q'il y aurait autant de monde, la clairière est remplie. Basil m'entraîne avec lui à la rencontre de différents groupes. Ce garçon connaît tout le monde. Pour ma part, je reste muette tout le long, lui laissant volontiers la vedette ; si je pouvais me fondre dans l'obscurité, je le ferais. J'attrape le gobelet de bière qu'il me tend, et grimace en sentant le liquide couler dans ma gorge. Malgré son goût amer, ça a l'avantage de me réchauffer, alors je bois le verre en entier. Alors que je décide d'arrêter au bout de trois, Basil lui, enchaîne verre sur verre sans pourtant avoir l'air saoul. J'ai les yeux lourds, le ventre ballonné et une drôle de chaleur au visage. Basil m'a dit que la fête se déroulait près d'un lac, je décide donc d'aller voir ce lac d'un peu plus près.

Je quitte la clairière animée et bruyante, pour rejoindre la forêt sombre et silencieuse. Mes pas sont incertains et lents. J'entends à peine les bruits de la vie nocturne qui m'entoure, seulement ma respiration lourde. Par chance, j'y ai toujours bien vu dans la nuit, alors j'arrive à éviter les principaux obstacles en travers de mon chemin, même si en talons ça reste compliqué. Quelques branches m'éraflent le visage ou s'accrochent à mon jean, mais après un long périple, je parviens à atteindre le lac. L'air frais me fait du bien à la tête. Euphorique, je retire mes chaussures et ma veste que je laisse tomber par terre, et m'avance pieds nus dans l'eau. Je ferme les yeux et inspire profondément. Le froid me rend plus lucide.

Lorsque j'ouvre de nouveaux les yeux, ces derniers sont attirés par deux petits points lumineux de l'autre côté de la rive. Je fronce les sourcils et essai d'y voir plus clair. Instinctivement, je m'avance un peu plus dans l'eau. Ma vision se fait plus nette, et je reconnais une silhouette pâle accroupie au bord du lac. Ça a l'air d'être un homme nu, ses cheveux foncés sont soufflés par le vent. Puis l'homme lève la tête en ma direction, et je me fige, abasourdie. Ses iris sont d'un ambré incandescent. Je crois halluciner, mais même après avoir cligné des yeux, les siens restent embrasés.

— Putain mais Théa ! Je t'ai cherchée partout !

La voix de Basil dans mon dos me fait sursauter. Je me tourne d'instinct pour le regarder, avant de me raviser et de scruter attentivement la rive d'en face. L'homme a disparu. Basil me hèle depuis le bord de l'eau. Je rejoins maladroitement la rive.

— Mais qu'est-ce que tu fous ici Théa ? m'engueule-t-il. Tu vas choper froid en plus, qu'est-ce qu'il t'a prit ?

— Il y avait un homme là-bas, ses yeux ... ils brillaient.

Basil me fixe, mi-figue mi-raisin. Il ne me croit pas. 

— Il était sur l'autre rive, il était accroupit au bord de l'eau. Et ses yeux ... ils étaient ambrés, ils brillaient ! je répète en montant d'une octave.

Sa mâchoire se crispe et son regard se durcit. Il me tend mes bottes et me fait signe de le suivre. Je les enfile en titubant et le talonne. Il a la bienveillance de poser ma veste sur mes épaules. Bien qu'il n'ai pas répondu à mes propos délirants, du coin de l'oeil je le vois inspecter la rive d'un air perplexe. 

Cursed Huntress⏤ original storyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant