Darcy, quelques minutes après le départ de Yaz, sentit une profonde tristesse l'envahir. Elle avait beaucoup de respect et d'admiration pour sa sœur d'adoption. La petite blanche sentait des larmes s'accumuler sous ses paupières : elle se sentait de plus en plus morveuse en raison des paroles regrettables qu'elle avait proférées. Elle regarda autour d'elle et, pour la millième fois depuis qu'elle avait commencé son activité parallèle, se sentit sale. Darcy se redonna du courage en songeant que cela lui permettrait de mettre Yaz et elle à l'abri du besoin.
À l'abri des autres.
La colère remplaça la honte et la tristesse : tout n'était pas rose au foyer. Yaz avait déjà été agressée sexuellement par un tuteur, plusieurs années auparavant, et plus récemment par un garçon de seize ans. La jeune fille n'avait rien dit mais Darcy, qui avait systématiquement percé sa sœur à jour, n'avait jamais permis au coupable de s'en sortir indemne. Du haut de ses douze ans, elle s'était rendue en personne au commissariat pour dénoncer le tuteur qui avait fait du mal à sa sœur. Si sa présence avait au départ agacé l'agent présent, il avait bien vite recouvré son sérieux et l'avait emmenée dans un bureau où elle avait attendu seule pendant une bonne demi-heure avant qu'un homme en civil ne se présente et ne l'écoute. L'homme était gentil, calme et souriant. Il avait un fort accent canadien, ce qui avait surpris la jeune fille. Le tuteur avait disparu de la circulation le soir même. La seconde fois, Darcy avait simplement bourré le casier du coupable avec son dernier lot de LSD avant de le dénoncer anonymement. Déjà sous le coup d'accusation de consommation de substances illégales, la présence de liasses de billets dans le casier avait scellé le sort de l'agresseur. Darcy avait fini par envoyer une lettre à un prisonnier de l'établissement où le jeune homme avait été incarcéré, au hasard, après s'être inscrite à un programme de correspondance avec des prisonniers. La jeune dealeuse avait décrit les actes de son ennemi au prisonnier, qui avait simplement répondu dans sa lettre : « le comité d'accueil est prêt ».
Darcy renifla bruyamment, balaya les débris de verre dans un coin de la pièce et tira de son soutien-gorge un minuscule sachet aplati contenant une fine poudre blanche. Elle l'aligna sur un papier buvard propre à l'aide d'une petite spatule en inox et s'accorda un rail. Elle voulait se faire pardonner par Yaz : elle irait au cours de sport avec l'horrible et terrifiante madame Kazamarov, une grande body-buildeuse russe qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. Yaz était sa chouchoute. Lorsque la petite blanche, après avoir changé de vêtements et empoigné son sac de cours, sortit du box aux parois attaqués par la rouille, elle comprit immédiatement que quelque chose ne tournait pas rond. Une silhouette se tenait à quelques mètres d'elle. Une seconde était adossée contre une porte en métal. La petite blanche referma ses poings sur la bandoulière de son sac de lycéenne. Son instinct lui dictait de fuir mais la cocaïne dans son système la stimulait et la drogue donnait une impression de surpuissance à la jeune fille. Elle fit mine de marcher tranquillement en direction de l'intrus qui se tenait adossé à un box mais, lorsqu'elle entendit les pas de l'autre crisser sur les débris dispersés ici et là, elle fit volte-face, fonçant droit vers l'homme qui avait entrepris de la suivre. Cocaïne ou non, elle ne put même pas distinguer les traits de son assaillant : un ricanement méprisant résonna et elle sentit quelque chose de terriblement froid traverser ses veines. Non. Ses nerfs. Ses muscles se raidirent et elle tomba face contre terre, s'écorchant le visage. Ce ne fut que lorsqu'elle sentit une main brutale la retourner sur le dos comme un coléoptère impuissant qu'elle comprit que son attaquant avait fait usage d'un taser contre elle. Et comme personne ne lui avait lu ses droits, il était fort probable que ces deux inconnus n'appartiennent pas aux forces de l'ordre. Darcy sentit la pointe d'une botte lui vider l'air des poumons. Un deuxième coup de pied, encore plus puissant, lui fracassa une côte. Deux chocs électriques plus tard, trois coups de poing en plein visage et de nombreuses injures énumérées avec un fort accent cockney, la jeune fille sentit qu'on la soulevait du sol pour l'entraîner non loin de « son » box. Quelqu'un ouvrit la portière d'un pick-up et l'instant suivant, l'orpheline se retrouvait enfermée dans un coffre qui sentait la cigarette, la sueur et le poisson frais. Sonnée, elle parvint à peine à se mettre sur le côté qui ne la faisait pas souffrir. Elle sentit des larmes couler sur ses joues et ne trouva pas la force de cogner sur ce qui l'entourait. Ça n'avait aucun rapport avec ce qu'on pouvait voir dans les films d'action. Darcy avait terriblement mal à la tête. Elle avait envie de vomir. Même si on lui avait donné le choix, jamais elle n'aurait accepté de se mettre sur ses jambes : elle avait bien trop mal aux côtes. Au crâne. Aux jambes, tiens. Seule la cocaïne, songea-t-elle, lui avait permis de rester consciente.
Qui étaient ses agresseurs ? Facile : les sbires d'un dealer ou d'un chef de gang sur les pieds duquel Darcy avait un peu trop marché. Toujours ce souci d'ego, se reprocha la jeune fille. Elle s'était crue plus maligne que tout le monde. C'était comme ça depuis des années. Depuis qu'elle avait compris qu'elle devait être plus maligne que les autres – que ceux qui l'entouraient –, l'adolescente s'était construit une épaisse muraille, muraille qui l'avait rendue trop sûre d'elle en apparence. Ce matin elle en paierait les conséquences et elle le savait déjà, malgré les coups qu'on lui avait assénés et qui lui brouillaient les idées. Lorsqu'un choc inattendu et brutal la projeta contre la roue de secours, Darcy comprit qu'il s'était produit un événement impromptu qui n'était absolument pas dans les prévisions de ses kidnappeurs. Malgré le crissement des pneus, les chocs violents qu'elle recevait et les hurlements qui jaillissaient de sa propre poitrine, elle put entendre malgré tout les jurons violents poussés par ses ravisseurs. Et malgré son vocabulaire déjà fleuri, Darcy se dit qu'on découvrait décidément de nouvelles choses chaque jour et que la langue anglaise n'avait pas cessé de la surprendre. Elle eut l'heureux réflexe de saisir fermement les premières choses à peu près stables qui l'entouraient juste avant que la gravité n'abandonne un instant le SUV dans lequel elle se trouvait prisonnière. Une embardée et un très violent choc plus tard, le véhicule s'immobilisa. Seule la cocaïne permettait à la jeune fille de s'imaginer qu'elle n'avait rien de casser. Des cris jaillirent, puis – plus effrayant encore – des tirs d'arme automatique. Ils ne venaient pas de la voiture mais d'un peu plus loin. Des ordres dans une langue étrangère furent lancés, auxquels seule une salve de tir répondit, cette fois provenant du SUV. Darcy serrait les dents, convaincue qu'une balle perdue allait bientôt lui mordre les chairs. Deux claquements secs conclurent l'entretien peu civilisé qui avait lieu. Leur source se trouvait à plusieurs mètres. La jeune dealeuse, les oreilles sifflantes, fut aveuglée par le soleil quand ses sauveurs ouvrirent le coffre où elle avait été enfermée. Elle n'eut pas le temps de s'accommoder à la luminosité : un tissu noir et fin lui tomba sur la tête. Ou plutôt ses « sauveurs » venaient de lui mettre une sorte de sac opaque sur la tête. Deux paires de mains l'empoignèrent sans aucune précaution et l'arrachèrent à sa cellule provisoire. Elle entendit encore l'un des deux hommes lancer un ordre sec dans une langue qui ressemblait à du français. L'autre homme répondit sur un ton plus que caustique et, en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, la jeune femme se retrouva dans un nouveau coffre, plus précisément dans ce qu'elle estima être une cage habituellement conçue pour convoyer de gros chiens.
Absolument terrorisée, Darcy n'eut qu'un réflexe : après avoir constaté que les deux premiers agresseurs lui avaient arraché le portable qu'elle tenait vissé à la main quand ils l'avaient surprise, elle réalisa que la seule chose réconfortante qu'il lui restait, c'était le sachet aplati glissé dans son soutien-gorge, qui contenait une ligne de cocaïne. Elle réussit, malgré l'entorse qui lui déformait le poignet, à inspirer le contenu du petit sachet, et se roula en boule sur le côté.
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Merci pour votre lecture !!! J'espère que ça vous plaît ;-)
La suite arrive mais d'ici quelques chapitres, la fiction passera en mode adulte... pour des raisons d'adulte ;-)
Bisous !
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Mayhem's Men
ActionJeune dealeuse, à quelques mois de quitter définitivement le foyer où elle vit depuis sa plus tendre enfance, Darcy échappe de peu aux griffes de concurrents furieux pour tomber entre celles d'une organisation secrète qui semble faite de criminels r...