5. We are Pollus

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Darcy passa plusieurs jours très décevants, selon ses propres termes : elle demandait nerveusement à la Murène et à Napoléon s'ils pouvaient la laisser « sortir dehors, pour voir la rue », ce qu'elle ne pouvait s'empêcher de trouver singulièrement stupide a posteriori. Son corps cherchait n'importe quelle excuse pour obtenir sa poudre sacrée. Bonaparte s'énervait assez vite mais il parvenait à distraire la jeune femme en lui imposant des pompes, des squats, en la faisant jouer à la PS4, en lui apportant des cartes, en jouant au Monopoly... bref : il épuisait l'attention de la malade. La Murène, lui, se murait dans le silence, affichait un sourire immense et plongeait ses yeux rieurs dans ceux, cerclés de noir et larmoyants, de l'adolescente. Et le Canadien cessait de parler, parfois pendant des heures. Darcy eut une seule fois – ce fut sa pire journée – une pulsion physique agressive envers le sympathique psychologue qui venait de secouer la tête, refusant de lui donner ne serait-ce que du café. L'Anglaise s'était jetée sur l'homme, assis devant un bon livre, et elle n'avait pas eu pas le temps de voir la Murène bouger qu'un violent coup au visage l'envoyait au tapis. Allongée sur le ventre, elle avait senti un choc électrique filer de son coude jusqu'à l'épaule et s'y installer : l'homme, un genou dans le dos de sa patiente, lui appliquait une clé de bras violente.

— Bon. Écoute, Darcy. Je ne vais pas y aller par quatre chemins.

Les larmes avaient roulé sur les joues pâles de la jeune fille, qui – le souffle coupé – ne parvenait pas à crier.

— Le Fennec nous a interdit d'user de violence contre toi, mais je pense que Napoléon t'a déjà averti de mon petit souci : j'ai un trouble sociopathe, ce qui signifie que je force mon cerveau à comprendre où se trouve la limite entre le mal et le bien. Mais cela signifie également que je n'ai pas réellement de remords, je ne peux pas en ressentir. Je n'ai pas peur du Fennec, je n'ai pas peur de Napoléon, et je n'ai pas peur de toi ou des conséquences qu'un geste malheureux de ma part pourrait avoir. Donc je te brise le bras si tu oses ne serait-ce que lever le ton sur moi, parce que je suis gavé de ton envie de cocaïne. Je peux tout à fait te comprendre, mais maintenant, j'en ai assez, tu me fatigues. Je ne t'ai rien fait de mal, donc tu ne me fais rien de mal. Est-ce que je suis tout à fait clair ?

Darcy avait hoché la tête et la Murène, toujours souriant, l'avait aidée à se relever. Le bras de la jeune fille se couvrit de bleus au poignet et au biceps dans les jours qui suivirent. Du jour au lendemain, elle cessa de ressentir l'envie d'agresser ceux qui lui refusaient la drogue.

Après un mois d'isolation, la jeune Anglaise eut le droit de demander deux posters et deux plantes pour décorer sa chambre. Elle réfléchit longtemps et finit par réclamer une reproduction de la Joconde – elle rêvait d'aller au Louvre – et une immense affiche du film Deadpool 2, le dernier qu'elle était allée voir avec Yaz. Pour ce qui était des plantes, elle n'y connaissait rien et demanda à la Murène et à Napoléon d'en choisir une chacun. Le premier demanda une orchidée chargée de fleurs et passa une heure à expliquer avec passion à sa patiente comment bien s'en occuper et comment elles se reproduisaient. Napoléon voulut obtenir une sensitive mais le Fennec refusa pour une raison que Darcy ne comprit pas. Le Français se rabattit sur un cactus fleuri – « maispas un peyotl ! » avait blagué Napoléon, à nouveau sans que Darcycomprenne.

L'Anglaise était en train de ranger sa bibliothèque – elle accumulait les livres et le Fennec et elle avaient construit une bibliothèque pendant toute une semaine, ce dont elle était extrêmement fière – lorsque quelqu'un frappa à la porte.

— Oui, oui !

Elle ne se retourna même pas et fut intriguée car elle crut entendre un halètement vigoureux. Harry Potter et la Coupe de Feu à la main, sur la défensive, elle fit volte-face et rencontra une truffe fraîche et humide. Un énorme rottweiler à la queue enroulée sur elle-même lui faisait face, bavant joyeusement. À sa droite, laisse en main, un jeune homme d'une vingtaine d'années tout au plus se trouvait. Il avait les cheveux noirs, la peau brune et était à peine plus grand que Darcy.

Mayhem's MenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant