Prologue

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Je cours à perdre haleine, aussi vite que mes jambes à moitié anesthésiées par la peur peuvent le faire, dérapant dans les virages, accélérant dans les lignes droites. Les couloirs se succèdent, dévoilant leur monotonie et leur froideur, tel un serpent déroulant son long corps flasque tout autour du bâtiment. Au détour d'un coude, je perds l'équilibre, me raccrochant in extremis au mur blanc du plat de la main, mais repars aussitôt, me servant de la cloison pour relancer ma course. Je dois aller plus vite, je dois le retrouver coûte que coûte.

Au fur et à mesure, mon souffle se perd, devenant difficile, erratique. Je manque d'oxygène, à cause de l'effort, mais sans doute aussi par la terreur qui s'empare de mon esprit qui commence à divaguer : que vais-je trouver ? Sera-t-il encore en vie ? Je repousse l'idée même que ce ne soit pas le cas, refusant d'envisager une seule seconde que ce puisse être autrement, sous peine de me voir m'effondrer aussitôt.

Enfin, dans un effort ultime, j'enfonce d'un coup la porte à deux battants au-dessus de laquelle sont inscrites les lettres « Urgences » en couleur noire, sinistres, repoussantes. Et là je me fige sur une petite salle d'attente vide, où des chaises usées qui ont connu des jours meilleurs m'attendent. Pour autant, je ne m'assieds pas, incapable de prendre place au milieu de ces meubles qui semblent hurler tout le malheur, tous les drames, toutes les épreuves qui s'y sont déroulés, témoin muets de toute la misère de l'hôpital dans lequel il vient d'être admis. Le silence, d'un coup, s'impose alors que mon sang circule encore frénétiquement dans mon corps, battant avec un bourdonnement sourd dans mes tempes. J'ai l'impression terrible que ma tête va exploser, tant la pression y est forte : je ressens les coups de mon cœur dans chaque organe, dans chaque cellule, comme un métronome lancé à vive allure sur une partition bien trop rapide pour moi.

J'ai froid, d'un coup, malgré la course, malgré les gouttes de transpiration qui coulent dans mon dos. J'ai l'impression d'être engourdie, comme si la fraicheur de la pièce s'était insinuée sous ma peau, et avait envahi ma chair. Subitement, je sens l'adrénaline redescendre dans cet environnement hostile, rendant mon corps flasque, et mes jambes flageolantes. Je pose une main sur le mur à la couleur rendue indéfinie par le temps, et ferme les yeux. Lasse, je me rends compte à cet instant qu'ils laissent passer toutes les larmes que j'avais réussi à retenir jusqu'à présent. Elles coulent, inexorablement, alors que les barrières que j'avais réussi à ériger depuis le parking ont cédé sous le barrage de mes émotions, bien trop puissantes. Rouvrant les paupières, j'observe, impuissante, l'environnement : il est là, quelque part près de moi, mais néanmoins inatteignable. Mon dieu, faites qu'il soit en vie, faites qu'il soit en vie !! Ma prière silencieuse s'élève, inutile cependant : son existence n'est plus entre mes mains. L'a-t-elle jamais été ? Je ne crois pas.

Un bruit de pas me sort de ma torpeur. C'est un médecin, jeune, sans doute un étudiant qui fait un poste de nuit. Il a l'air fatigué, exténué même. Il parcourt la pièce du regard, comme cherchant quelqu'un d'autre, puis revient vers moi en fronçant les sourcils.

— Vous êtes la personne qui accompagnait le jeune homme qui vient d'être admis en urgence ?

Je hoche la tête, incapable de parler : une boule d'angoisse serre ma gorge, m'empêchant de prononcer la moindre parole, comme si elle l'obstruait. Il hésite, je le vois, et je sens d'un coup ce manque de courage qui l'emprisonne lui-aussi, qui l'empêche d'aller plus loin. Il n'ose pas, il ne réussit pas à prononcer ce qu'il avait l'intention de me dire. Son regard se voile de gêne, alors qu'un rictus de tristesse et de pudeur s'imprime sur son visage. Non !! Mes yeux se remplissent à nouveau, tandis qu'une grimace de douleur prend naissance sur mes lèvres. Non ! Mon corps s'affaisse, lorsque je comprends tous les mots qu'il n'ose pas m'annoncer, mais qui suintent de son regard altruiste. Je le sais, je le sens.

De battre son cœur s'est arrêté. Et le mien se brise en mille morceaux épars.

The Rebel Sinners [ sous contrat Editions Addictives ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant