Chapitre 3

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Charlie

— Recommence voir avec une tonalité en-dessous, demandé-je à Oliver sans même le regarder.

Avachi dans mon fauteuil club, dans ma salle de musique, j'écoute les quelques accords que mon pote guitariste daigne bien vouloir suivre sur la partition que je viens de lui filer. C'est un gros brouillon dégueulasse, et j'essaie de faire abstraction des regards noirs qu'il me jette au fur et à mesure de ses tentatives pour donner vie à ma musique. Il souffle, plisse les yeux et recommence, alors que j'essaie dans ma tête de relier moi-aussi les notes entre elles, cherchant la faille, la note qui pêche, celle qui me perturbe. Je ferme les yeux, refaisant la mélodie dans ma tête, en même temps que les doigts d'Oliver sur ses cordes. Merde, c'est là, en plein milieu que ça coince ! Je le sais, je le sens, mais je n'arrive pas à mettre le doigt sur le problème. Ça m'énerve, totalement, depuis près d'une heure que nous répétons, et je me relève, agacé, en faisant claquer mes doigts de façon discontinue, sous le coup de la pression, en grognant de déplaisir.

— T'écris comme un sagouin, aussi, merde ! râle mon bassiste, en levant les yeux au ciel et en laissant retomber sa guitare retenue par une bandoulière. C'est quoi ce truc ? Un ré ? Un mi ?

— C'est un ré, bordel, je le coupe, exaspéré. Ca s'entend non ? Qu'est-ce que tu veux que ça donne avec un mi ?

— Mais j'en sais rien, moi, aussi ! rouspète Oliver qui agite les bras en signe d'énervement. C'est toi le compositeur, pas moi ! Mais si tu veux mon avis, ça donnera rien ton truc, là. Je la sens pas, la mélodie. Déjà vu, pas assez original, et elle est pas terrible, soyons honnête...

— Ça tombe bien, je lui retourne, amer. Je ne te le demandais pas ton avis, de toute façon !

Le silence retombe, alors qu'Oliver roule des yeux. Ouais, je sais, je suis pas sympa, mais là, j'ai les nerfs. Ca fait des semaines que je tente de composer cette putain de ballade que m'a ordonné de lui pondre James, notre manager, pour nos prochains concerts. Une ballade, quoi ! Mais se rend-il compte de ce qu'il m'a demandé, merde ? Je n'en ai jamais écrit une seule de ma vie. Je suis allergique au genre, moi ! Je n'écris que du rock pur et dur, des trucs qui dépotent, des trucs qui arrachent. Pas des putains de ballades mièvres à la con !

Alors oui, je sais très bien pourquoi il le veut, et le fait que ça soit uniquement commercial me fait hérisser le poil, littéralement. Une ballade, c'est le succès assuré en tête des ventes, tous genres confondus. Une ballade, c'est l'assurance de se faire connaitre du grand public. Tous les groupes de rock s'y sont essayés, eux aussi, avec les succès planétaires qu'on leur connait : Wind of Change pour les Scorpions, Nothing else matters pour Metallica, ou même With or Without you de U2. Mais merde, je sais pas faire ça moi ! J'ai bien conscience qu'il a raison, mais je n'en ai ni l'envie ni même l'inspiration, le second n'allant pas sans le premier, à mon avis...

— Faites une pause, les mecs, conseille soudain Matthew, son jumeau, que j'avais presque oublié dans le canapé, persuadé qu'il dormait.

Vu la tête qu'il tire, et les yeux encore embrumés de sommeil qu'il pose sur nous, c'est effectivement sans doute ce qu'il faisait depuis une bonne heure.

— Ça, tu t'y connais, en pause, se renfrogne son frère, l'accablant de son regard noir. T'en fais une depuis des plombes, alors que nous, on bosse !

Matthew ricane, en se redressant pour s'assoir sur le sofa d'un seul coup de reins, à la seule force de ses abdos en béton. Il en profite pour étirer les bras vers le haut, dans une tentative de réveiller ses muscles ankylosés par la position couchée, puis émet un bâillement sonore qui achève l'exaspération de son frangin. Matthew lui lance un regard sarcastique, avant de se gratter le ventre d'un air décontracté.

The Rebel Sinners [ sous contrat Editions Addictives ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant