Chapitre 2

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Lucille

Ça doit bien faire dix minutes que je m'acharne sur le lavabo de la salle de bains. Dans mon esprit torturé, j'ai besoin que ça brille. Peut-être est-ce parce que j'ai l'impression de pouvoir avoir la main mise sur au moins une chose, et là, c'est de réussir à obtenir une faïence impeccable, à défaut de pouvoir être maitresse de ma propre destinée, ou encore plus hypothétiquement celle de mon frère. Vaine espérance, je le sais, mais ça occupe l'esprit.

Chiffon microfibre en main, je m'attaque au robinet, que je ne lâcherai pas avant d'avoir un acier rutilant et dépourvu de calcaire. Je jure en désincrustant des traces de dentifrices imprégnées, laissées là par l'un ou l'autre des hommes de la maison, plus pour la forme que pour l'idée. Avant de rester à la maison, je n'avais jamais été adepte du ménage, honnêtement, trop occupée par mon métier. Depuis six mois, j'ai viré fée du logis, consciente néanmoins qu'il ne s'agit pas d'une passion, loin de là, mais d'un dérivatif, simplement.

Contente du résultat, je termine par le miroir que j'astique, essuie, peaufine dans tous les coins et recoins. Là, une trace m'interpelle soudain, et j'approche mon visage pour l'observer de plus près, et frotter encore plus fort. Puis, détournant les yeux dans le reflet désormais impeccable, je tombe sur mes yeux : bleus, de cette couleur que nous avons commune avec Jonathan, mais qui m'interpelle soudainement. Ils sont ... ternes, comme s'ils avaient été polis par le temps, usés par les soucis. Ma main se baisse, et mes doigts agrippent le bord du lavabo, alors que j'élargis le plan d'observation. Mon visage est si semblable à avant, et en même temps si différent. J'ai l'air d'avoir pris dix ans. L'insouciance a été remplacée par une maturité bien trop prégnante pour mon âge. J'ai maigri, aussi, comme en attestent les joues bien plus creuses que j'arbore à présent. Je n'ai guère plus d'appétit que Jonathan, comme si je subissais les affres de la maladie en même temps que lui. Mon teint pâle, mes poches sous les yeux, parfont un tableau guère reluisant de mon état physique, d'autant que je ne me maquille plus depuis des lustres. Pour moi qui ne sortais jamais sans être pomponnée à l'extrême, c'est juste une gageure. Relevant les yeux, je soupire de frustration devant mes cheveux blonds ternes, bien trop longs, qui n'ont pas vu les ciseaux d'un coiffeur depuis des mois, ni même un soin qui pourrait tenter de leur redonner leur aspect sublime d'antan. Lasse, je n'en ai même plus envie.

Je ne ressemble à rien, soyons honnête, dans mon pauvre jean usé et mon t-shirt basique rouge qui a connu des jours meilleurs. Et dire que j'évoluais dans un monde de luxe, où la tenue du jour me semblait bien plus importante que tout le reste ! J'étais au top de tendances, je scrutais chaque apparition de star à la loupe ; quelle futilité à la lumière de la réalité de la vie ! Je suis tombée de bien haut, me rendant compte de la stupidité de mes préoccupations premières. La vie vous rattrape parfois brutalement.

Un bruit assourdissant me sort d'un coup de mes méditations moroses, provenant de la chambre voisine, mais je souris : c'est Jonathan qui joue de la batterie. N'importe quelle mère de famille s'énerverait en entendant ce tintamarre, mais pas moi. Ce bruit, c'est la vie, c'est la preuve qu'il est toujours parmi nous. Et surtout, qu'il en est encore capable. Il s'épuise de jour en jour, je le vois bien, mais quand il trouve la force de jouer, c'est le plus beau concert auquel je pourrais assister. Je ferme les yeux, savourant cette musique tonitruante, mais ô combien purifiante pour mon cœur. Bordel, qu'est-ce que je l'aime !

Il est doué, il l'a toujours été. Très tôt, Jonathan a été attiré par les grosses caisses et les tambours. Les parents ont bien tenté de l'orienter vers le piano, la flûte ou le violon, mais peine perdue, c'était bien à la batterie qu'il voulait s'essayer, depuis toujours. Banco, les parents ont fini par céder, et depuis, il s'y adonne avec un entrain tel qu'il est devenu presque un pro. Il est doué, terriblement doué, mais j'ai peur que désormais trop faible, il ne finisse par devoir lâcher. Je sais que ça le tuerait, alors je prie pour que ses bras tiennent le coup le plus longtemps possible.

The Rebel Sinners [ sous contrat Editions Addictives ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant