De toutes les fois où j'ai eu envie de mettre fin à mes jours, seulement trois se sont arrêtées pas loin du but. Toutes se sont toutes soldées par un échec, mais je sais que ce soir, c'est la bonne.
C'est la bonne pour plusieurs raisons. D'abord, parce que l'idée que j'en ressorte vivante m'est impossible à digérer ; le fait même de respirer une journée de plus m'est inenvisageable. Le résultat chaotique de mon existence n'est qu'un ramassis d'ennuis et de peines. Une autre raison qui me pousse à en finir : la crainte de commettre de nouvelles atrocités si je reste en vie. Ceux qui ont le malheur de croiser ma route courent continuellement le risque de subir ce que je laisse sur mon passage, et ce n'est pas ce que je cherche. En partant, je laisse ma place à quelqu'un de plus méritant. Quelqu'un de meilleur.
En réalité, les raisons de ma prochaine disparition sont si nombreuses qu'il faudrait plus d'une pierre tombale pour exprimer mes maux ante mortem. « À notre regrettée amie » serait une épitaphe bien dérisoire : le seul regret que je ressentirai à ce moment-là, s'il y a bien une vie après la mort, c'est de ne pas être partie plus tôt. À l'évidence, le mieux pour me faire honneur serait de ne pas édifier de dalle en mon nom, ni de venir se recueillir sur ma tombe. Quel intérêt y a-t-il à organiser des funérailles, si le défunt vous fait des doigts de là où il est ?
Je garde la tête baissée en direction des rails. Il fait froid, mon haleine forme des petits nuages de fumée autour de ma bouche. Je serre mes poings contre mes hanches et avale ma salive. C'est le moment. Plus de retour en arrière. Il est temps d'en finir.
Le train se fait entendre au loin. J'avance d'un pas, puis d'un autre, jusqu'à être le plus proche possible du fossé. Des détritus jonchent la voie ferrée, un rat se fait la malle avec un sachet en plastique qui contient les restes d'une brioche. À part ça, le quai est désert. Qui voudrait assister à une scène pareille un vendredi soir ?
Le train est maintenant à une cinquantaine de mètres. Ses phares m'éblouissent si fort que je suis obligée de plisser les yeux. Ce n'est pas la peur qui me hante, seulement l'idée que ma mort mériterait pire souffrance. C'est tout ce que je mérite. Souffrir, souffrir, et encore souffrir.
Je prends ma toute dernière inspiration.
Tu ne vaux rien, souffle ma conscience. Tu ne vaux rien du tout.
C'est cette même pensée qui m'accompagne lorsque je saute.
La dure paroi me percute de plein fouet. Mon corps bascule. J'étouffe un cri tandis qu'un bruit sourd résonne dans mes oreilles. J'atterris la tête la première, avant de sentir mon squelette heurter quelque chose d'anormalement confortable. Pourquoi n'ai-je pas mal ? Gardant les paupières closes, je reste longuement immobile pour m'assurer que ma chute est bien terminée. Quand l'écho du train disparaît, je comprends que je suis vivante. Comment est-ce possible ?
Toujours allongée, j'entame de petites rotations avec mes doigts et mes pieds. A priori, je n'ai rien de cassé. J'ai la capacité de bouger mes membres et même toutes les sensations qu'un corps humain est capable de ressentir. Incroyable ! Et si j'étais bien morte tout compte fait ? Peut-être que dans l'au-delà, la douleur n'existe pas. Pour le coup, ce serait vraiment ironique.
— Est-ce que tu m'entends ?
J'ai un soubresaut. Cette voix sortie de nulle part... Est-ce un ange ? Un démon ? Le diable lui-même ? L'inquiétude ne tarde pas à prendre possession de mon esprit. Je ne suis plus trop sûre de savoir ce que je dois faire. De toute manière, j'ignore si j'ai l'énergie nécessaire pour entreprendre quoi que ce soit.
— Si tu m'entends, ouvre un œil, reprend calmement la voix.
Pour une force du mal, elle a un timbre plutôt chaleureux...
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Avant que la pluie ne tombe
Romance~ Elle veut en finir avec la vie. Il veut profiter le plus possible de la sienne. Elle n'a plus rien ni personne à perdre. Il cherche à s'entourer des personnes qu'il aime. Ils n'ont pas les mêmes attentes, et pourtant... ~