Avant que la pluie ne tombe

Chapitre 11 - Un panier en vaut deux

Je me réveille avec cette impression d'étouffement qui me noue la gorge. Le cœur battant, je sens une larme rouler sur ma joue. Mes cheveux sont poisseux et collent à ma nuque. Je sue tellement que j'en ai trempé les draps du lit. Devant moi, les livres dans la bibliothèque tanguent, se distordent dans des couleurs toutes plus vives les unes que les autres. Il me faut dix bonnes minutes avant que je sorte complètement de ma torpeur. Après m'être lavée la figure et rincée la bouche, je descends l'escalier.

Ce sont deux masses avachies sur le canapé qui m'accueillent en bas. Nate et Wyatt dorment à poings fermés, chacun allongé dans le sens opposé. Ils sont si silencieux que je n'ose pas esquisser le moindre mouvement, de crainte d'en réveiller un. Mon regard se pose distraitement sur le brun.

Alors comme ça, Wyatt est revenu après la soirée et a passé la nuit ici. En un sens je m'en moque, cependant jene peux m'empêcher de m'interroger : pourquoi s'obstine-t-il à venir autant chez Nate ? Pour avoir fuis plus d'une fois le foyer familial, je sais que ces venues fréquentes dissimulent quelque chose de plus sombre. Je me demande ce qu'il a vécu qui pourrait justifier les raisons de ses sorties perpétuelles. Tout porte à croire qu'il y a une ombre au tableau, et à mon avis, pas n'importe laquelle.

Le fait que les deux garçons soient endormis l'un à côté de l'autre fait d'autant plus ressortir le contraste de leur physionomie. Ils ont des coiffures différentes, pas la même taille ni la même carnation – Wyatt est plus bronzé que Nate –, mais ce qui détonne le plus reste les traits de leurs visages, en totale opposition. Nate est doté d'une beauté stupéfiante aussi bien éveillé que lorsqu'il dort. C'est quelqu'un de gai, d'attendrissant et doté d'un sens de l'humour sans faille. Pour ce qui est de Wyatt, je le trouve bien plus ténébreux. Il est d'une beauté presque sauvage. Agressive.

Nate remue dans son sommeil. Il roule sur le côté, passe un bras sous son dos, se retrouvant dans une position totalement improbable : la tête en arrière, une jambe sur l'accoudoir, l'autre perchée sur le dossier du canapé. La veille au soir, lui et moi avons failli nous embrasser. Si Wyatt n'était pas arrivé à temps, cela se serait véritablement passé. Je me juge d'avoir eu ne serait-ce que le désir de le toucher. Je n'avais pas les idées claires, faute de quoi je ne serais jamais restée aussi longtemps à lui parler de manière aussi... intime.

Ce moment de faiblesse ne se reproduira plus.

Je pars me doucher. Les garçons échangent des messes basses lorsque je reviens avec les nouveaux vêtements que Nate m'a achetés sur le dos. Ce qui semble être une conversation très sérieuse m'arrive jusqu'aux oreilles.

— ... et ça vaut pour toi aussi, Wyatt. Tu ne peux pas te laisser guider par ce genre d'émotions. Elle ne mérite pas ça.

— Je sais. Je suis le premier à lui avoir dit qu'elle pouvait faire sa vie avec qui elle voulait après moi.

— Mais... ?

— Mais, entre le dire et le voir... Je ne pensais pas que...

Wyatt s'interrompt dès qu'il me voit. Nate se retourne.

— Devon !

Il approche pour m'enlacer, mais se ravise en s'apercevant que je me raidis.

— Ah. Pardon. C'était machinal.

— Ce n'est rien.

Contrairement à Nate, Wyatt demeure à l'autre bout de la pièce. Il préfère garder une distance entre nous, et ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre.

— Vous avez passé une bonne fin de soirée ?

— Matte un peu ma gueule de bois : ça répond à ta question ? raille Nate.