L'homme est monté sur un escabeau pour atteindre le haut du mur. D'un bout à l'autre de la pièce s'étend une toile représentant des constellations plus vraies que nature. Ici, Andromède et sa forme en A ; là, Cassiopée et sa forme en W. J'ai contribué à la réalisation de cette peinture et confectionné des fleurs avec du papier crépon, que j'ai dispersé un peu partout pour donner du relief aux étoiles. Avec ou sans mon aide, ce travail reste cependant un chef-d'œuvre du meilleur artiste que je connaisse.
— Quand penses-tu finir la toile ? m'enquiers-je pendant qu'il redescend de l'escabeau.
Ses doigts sont tachés de noir et de doré, couleurs qu'il a utilisé pour colorier la voûte céleste. Il s'essuie sur son tee-shirt de travail, avant de mettre la main sur sa tasse de café.
— À mon avis, on en a encore pour un mois, le temps de peaufiner les détails et repasser une couche de peinture, dit-il après avoir bu une gorgée.
— Est-ce que je pourrai relier les étoiles d'Orion ?
— Tu pourras relier toutes les étoiles que tu veux, ma petite œuvre d'art.
Ma petite œuvre d'art. Ça faisait longtemps qu'il ne m'avait pas appelé comme ça. L'homme remonte sur l'escabeau puis passe un coup de pinceau sur la constellation en forme de casserole. La Grande Ourse.
— Celle-ci ressort plus que les autres, noté-je pour moi-même.
L'homme réussit tout de même à m'entendre.
— C'est vrai, m'accorde-t-il. Je devrais peut-être la rétrécir. Qu'est-ce que tu en penses ?
— Tu ne devrais rien corriger. C'est parfait comme ça.
— Entendu. Je ne toucherai à rien.
En fait, si : un jour ou l'autre, il modifiera quelque chose. Ça commencera par un petit trait léger, rien d'inoffensif ni de bien voyant.
— Ton travail mérite plus de reconnaissance. Il devrait se trouver dans les galeries d'art les plus prestigieuses du pays.
La femme, allongée sur le canapé et emmitouflée dans un plaid en patchwork, observe attentivement les faits et gestes de l'homme. Elle suit son travail depuis des années, moins comme un soutien qu'une fan inconditionnelle. En même temps, la beauté a beau être subjective, ce que peint l'homme est objectivement merveilleux, ça ne fait aucun doute.
— La reconnaissance n'a rien à envier au talent, déclare-t-il solennellement. Le meilleur chirurgien n'atteindra jamais la popularité d'une célébrité, tout comme celui qui se lève pour protéger la ville des incendies ou celle qui enseigne l'apprentissage de la vie aux enfants dès leurs plus jeunes âges. Ont-ils les éloges qu'ils méritent ? Non. Ont-ils un talent ? Oui, comme tout un chacun, à leur manière. Je ne peins pas pour le succès ni pour l'admiration. Je préfère vivre de ma passion dans l'ombre plutôt que de me perdre dans ce tourbillon qu'est la gloire. Et vous savez pourquoi ?
La femme et moi faisons non de la tête. Je sais que le sourire qui naquit sur les lèvres de l'homme restera gravé dans ma mémoire jusqu'à ma mort.
— Parce que rien n'est plus gratifiant que d'être auprès de ceux que j'aime.
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Avant que la pluie ne tombe
Romansa~ Elle veut en finir avec la vie. Il veut profiter le plus possible de la sienne. Elle n'a plus rien ni personne à perdre. Il cherche à s'entourer des personnes qu'il aime. Ils n'ont pas les mêmes attentes, et pourtant... ~