CHAPITRE 10: Sortie de l'hôpital.

9 0 0
                                    


Leur discution commence par s'éterniser. Je m'impatiente, je tapote des pieds, enfin du seul pied qui reste fonctionnelle. Je les regarde et les voit plongés dans un sérieux aveuglant. J'ai bien envie de savoir de quoi il parle concrètement, mais je suis beaucoup trop loin d'eux. Assise dans un canapé destiné au visiteur, je suis vautré, le corps un peu moins engourdi que d'habitude, ma jambe droite horriblement pesante et le visage indéfini ou encore marqué de fines traces de tristesse. Je plisse mes sourcils, l'envie de brailler pleins la gorge, mais je me retiens. Je regarde Jacques, je suis en rogne, mais le voir aussi soigneusement vêtu, me tempère. Il est droit, pas très imposant mais conquérant. Et son visage, légèrement éfilé et charnue, lisse et soigné. Et ses fossettes, une pure beauté qui accentue son air candide. Le regarder m'apaise, je ne sais vraiment pas pourquoi, mais c'est comme ça.
Leur conversation commence bien par m'irriter, je sors presque de mes gants. Cette fois, ça y est, la grosse boule en moi m'étreint, je veux hurler, crier ou même les supplier qu'ils me prêtent une quelconque attention et qu'ils arrêtent de faire comme si j'étais pas là. Je me redresse alors, je prends le temps de respirer, et alors que je m'apprête à vociférer, Jacques se retourne courtement, trempe ses yeux dans les miens et m'adresse un sourire. Je suis figée, les mots se braquent dans mon gosier. Mon visage se décompresse, mes nerfs s'assouplissent et moi je fond dans le canapé. Ce sourire dans le coin qui force cette fossette et qui plisse ses yeux me déstabilise et m'étourdit. Je ne sens plus rien, je n'entends plus rien, même la voix du médecin qui crie mon nom, je ne l'entend. Je suis complètement déconnectée, évasive dans ce sofa, relaxe mais en même renversée par l' état dans lequel je nage à cause de ce sourire.
- Angela. M'appelle Jacques, posant une main sur mon épaule.
- Oui. Je me réveille sans pour autant laisser paraître mon état abstrait.
- Nous voulons te parler.
- Ok, je suis là, je vous écoute.
- Te voilà au terme de ton séjour au sein de cet hôpital. Nous avons fait tout ce qu'on pouvait pour vous remettre sur pieds, grâce à Dieu vous l'êtes. Aujourd'hui, vous rentrez chez vous...
- Oui...
- Nous savons que vous êtes orphelines et que personne ne vous attends chez vous.
- Euh... Je suis choquée par cette remarque, j'ai comme des brûlures dans la poitrine, mais je m'efforce d'être insensible à ses dires.
- Nous voulons t'aider Angela. Cette fois c'est Jacques qui prend la parole. Il se rapproche de moi, s'accroupit et baigne encore une fois ses yeux dans les miens.
- Ah oui? Et comment ?
- Je vous commettrai une servante qui sera là à votre disposition tout le temps qu'il vous voudra pour récupérer votre jambe.
- Une quoi?  Non c'était trop. Une servante ? Sur le coup c'était trop tentant et surtout salvateur pour moi. Mais je trouvais ça abusé. J'étais peut être une chipie, mais j'avais une sensibilité qui réfrenait mon appétit, mon goût pour les grandes et douces choses.
- Bien sûr Angela. Je sais que vous trouvez ça un peu trop, mais c'est nécessaire pour vous. Vous en avez besoin.
Il a raison, j'en ai besoin, mais pourquoi je m'y refuse? Peut-être parce que je n'ai jamais fait face à tant de générosité et d'attention? Je plonge mes timides pupilles dans les siens et je suis de plus en plus dévastée. Je sens que je vais céder si je continue par soutenir son regard. Alors je baisse le mien, je me cache dans un silence.
- Comprenez Angela, votre jambe, vos blessures, je ne peux vous laisser seule.
‹‹Arrête de faire ta modeste et dis oui. ››
Je cache toujours mon visage, j'ai honte. J'ai toujours envie de lui servir un "non" mais ça serait doublement insensé. Ma fierté n'avait rien à faire dans cette histoire. Je pince alors mes lèvres qui, jusqu'à présent son aigre, je déglutis discrètement et je finis par hocher la tête.
- Vous êtes d'accord ? Oses me demander Jacques. Il semble ne pas voir cette gêne qui scelle mes lèvres. Son regard, ses mots sont couverts de bonnes intentions que je comprends et que je salue, mais le voir si indélicat me froisse les sourcils. Je le fixe donc, l'air plutôt dur et sévère. J'ai envie de lui faire passer un message, mais je le vois ce buter à l'expression que servait ma mine. Je me vois obliger de desceller mes lèvres et de dire ce mot qui serre tant la gorge.
- Euh! Oui.
- Merci Angela. Je l'appelle sur le champ. Elle nous attendra à la sortie de l'hôpital.
- Euh... J'essaie de placer un mot, mais le voilà qui m'interrompt déjà.
- Je règle les derniers détails et on s'en va.
Régler les derniers détails ? On? Mais pour qui il se prend? Mon père ou mon mec? Je le vois, il est au taquet. Il prend très au sérieux ce qu'il fait. Il n'a vraiment pas l'air de faire semblant. Il s'implique, un peu plus qu'une simple connaissance. Je le regarde et je le trouve de plus en plus intrigant. Comment pouvait-il se soucier de moi ? Et de cette manière? Il est concentré sur le moindre de mes besoins, de mes manques, à l'écoute. Il est constamment présent, m'illuminant par moment de son sourire. C'est magique et déroutant à la fois. Pourquoi ? Cette question restera indéfiniment encrée dans mon esprit. Et je ne sais vraiment pas si je trouverai réponse. Surtout que j'ai l'impression de ne point mériter ça.
Le voilà, il revient, toujours aussi souriant, il sautille presque. Sa démarche me force un sourire qui je n'arrive à cacher. Il le remarque à son tour et se reprend. Son geste me fait me encore plus sourire, mais j'incline ma tête pour ne pas lui donner une chance de lire en moi.
- Tout est prêt Angela. Nous pouvons partir.
- Ah. D'accord.
- Ah tenez, c'est votre nouveau siège. Il me poste un fauteuil roulant sous le nez. Je le regarde presque dépitée, et je repose mes yeux sur ce siège qui, bien que me rappelant mon état des plus piteux, reste des plus accueillant.
- Merci, lui dis-je sur un ton sarccastique.
- Allez, venez, je vous aide.
Il se rapproche, incline son torse. Je ne sais pas trop ce qu'il compte faire, mais j'ai le cœur qui va vite. Son parfum me couvre le visage. Il est intense et doux. Je ferme les yeux et je le laisse faire. Ses bras m'entourent. Je sens l'un d'eux passer sur mon dos et l'autre sous mes cuisses. Je commence par comprendre, mais je doute. Est- il assez fort pour me prendre? Et ce surplus, l'encaissera-t-il? Je me concentre sur ma crainte, mais je continue de lui faire confiance et faut croire que je n'ai pas tort. Je me vois décoller du siège, je suis hébétée, surprise. Je ressens sa masculinité se déployer. J'aime bien le sentir fort. Je crois flotter. Je pose mes mirettes sur lui, et il semble n'éprouver aucun mal. Il est plutôt détendu, confiant. Il me pose maintenant dans mon fauteuil. Je me détache peu à peu de sa senteur qui ne déplaît point. Je suis enfin dans mon siège. Je le remercie d'un sourire.  Il ne perd pas de temps. Le voilà dans mon dos, il me pousse et enfin on sort de cette chambre qui ne faisait que me faire ressasser ces heures moroses.
En un rien de temps, nous traversons l'hôpital. J'ai comme un sentiment de légèreté qui me saisit. J'ai envie de crier victoire et de bondir hors de mon fauteuil, mais je suis très tôt rappelé par ses maux camouflés par la pile de comprimés ingurgitée et par ce plâtre que je trouve de plus en plus insupportable. Je me contente de soupirer profondément. Jacques quant à lui, est dans mon dos. Il est calme, plutôt plongé dans son téléphone. Il est comme ça une bonne minute. Je lui jette un court regard qu'il ne reçoit pas. Il sort de son portable et enfin m'adresse la parole.
-  Nous allons avancé. On prendra la servante sur le chemin.
Je me retourne, mais j'embrasse un visage sérieux, complexe. Ça me refroidir le voir comme ça. En plus je crois que ça m'affecte, je ne l'imaginais pas avec une telle dureté dans son air. C'est à croire qu'il changeait de manteaux chaque quart d'heure me laissant perdue devant la nouveauté qu'il me servait. Je veux parler mais j'hésite. Je ne sais quoi faire. J'ai vraiment besoin de lui parler, mais ça mine me cabre sur une dense hésitation.
Il range son portable, il ne dit plus rien depuis qu'il m'a parlé. Ça m'énerve, je veux bien que cette teneur vire à une allure plus rose mais tout semble s'endurcir davantage. Il pose ses mains sur mon fauteuil, ne perd plus de temps et me voici qui roule. On est tous les deux plongés dans un silence un peu trop plat. Je suis deux fois plus énervée, mais je me calme. J'ai besoin de lui parler et ça urge. J'en brûle, cette situation m'indispose Je lourdement. Je m'arme alors de force et de courage que je n'ai vraiment pas. Ce visage fermé que j'arbore, je l'efface. Je reprends ma respiration, j'affine mon caractère lourd et je pose ma main sur celle de Jacques posée près de mon épaule.
‹‹ J'ai besoin de te parler Jacques. ››

ANGELAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant