- Je suis une meurtrière Jacques. J'ai tué quelqu'un...
- Arrêtez Angela, ne dites plus un mot.
Il a toujours cet air dur et presque indifférent, ou plutôt glacial. Ça fait peu de temps que je le connais, mais le voir aussi froid frise les nerfs. Mais au finish que pouvais-je faire? Et en plus de cela, je venais de lui dire mon plus gros secret et ce, sans hésitation, comme si je lui faisais entièrement confiance.
On plonge une fois encore dans un silence palpable. J'ai le cœur qui bat fort, mes nerfs qui s'agitent, mes yeux qui tiennent plus en place. Je stresse, remplie d'interrogations. Que pouvait-il bien penser? Pourquoi était-il comme ça? Comment réagirait-il? Les questions ne finissent de chuter dans mon esprit. Sa présence dans mon dos m'étouffe, j'ai envie de me dérober à sa présence, à son sang froid, à son calme embarrassant, mais en fait, je n'étais qu'entre ses mains.
On est arrivé, il ouvre la portière du passager avant et me fait glisser à l'intérieur. Sur cette action, je le trouve chevaleresque, mon ce faciès, oh non, je le déteste. Je suis bien mise dans le siège, confortablement assise, mais toujours aussi crispée. À son tour, il rentre dans la voiture, claque doucement la portière et d'un geste, poste ses yeux sciants sur moi. Je tique intérieurement, cache mon visage que je n'arrive plus à contrôler. Son regard à lui est toujours intense. Il me brûle la peau et continue de me refermer.
- Je t'écoute Angela.
J'hésite à ouvrir ma bouche. Je tremblote, j'ai peur. Il va me juger, il risque, de ne pas me comprendre, après tout, il n'a rien dit quand je lui ai sorti ces mots. Je continue de nager dans une orgue de mots fustigeant. Je l'ignore un bon moment, mais lui, ses yeux ne me lâchent pas d'une seconde. Je le sais, je le sens.
... Je suis désolé Angela, si je vous ai laissé croire que je suis indifférent ou insensible, et surtout d'avoir exhibé cette mine de chien de l'armée. Je suis désolé. Vous m'excusez?
J'avais beau envie de tirer la tronche, de m'enfermer dans un incompréhension qui ne disait pas son nom, mais je trouvais l'heure trop obtus pour me livrer à mes puériles caprices. Je devais mon montrer plus raison et responsable. De toute manière c'est moi qui suis dans la mouise.
Après une courte réflexion, j'hoche la tête. C'est tout ce que je lui offre.
- Merci. Maintenant je t'écoute. Ici au moins personne ne peut nous entendre.
- Alors c'était pour ça? Repliquai-je sur les yeux hagards.
- Bien sûr. Pour quoi d'autre veux-tu que ça soit?
- Je comprends.
- Alors, je vous écoute.
- C'est plutôt difficile Jacques, mais tu sais, je suis cette fois dos au mur.
- Vous pouvez tout me raconter. Je suis là pour vous.
Cette dernière phrase me fait hausser les sourcils. Il a vraiment dit ça? C'est tout à fait insensé. Il me connaît à peine et le voilà qui est prêt à tout faire pour moi? Est-il gentil ou simplement un machinal machiavélique? Non franchement, une telle générosité pour un rien. Ça devient pesant pour moi cette réflexion, ça relève de l'absurdité. Personne ne pouvait donner sans rien attendre en retour. Et pourquoi lui? Pourquoi fait-il tout cela? Je me laisse submerger par un flot d'interrogations, par des mots qui avancent comme une tonsure sur le crâne. Je relève enfin ma tête et je croise ses pupilles qui scintillent et cette innocence qui me faisait l'admirer. Je plonge mes yeux dans les siens et cette fois je les soutiens. Je ne flanche pas. Ils sont intenses, pleins de chaleur et de compassions et sur le coup, je me dis que je peux entièrement lui faire confiance. Je décale étroitement ma vue et je me jette dans une cascade de mots que je comprends à peine.
Je lui raconte tout. Maman, cette femme qui se fait appeler ‹‹ maman››, ce soir, cet homme et cette course à la mort. J'enchaine les contes, ne me laissant aucun répit. Mon palais devient aride, mes larmes descendent en litres, mon visage se compresse et moi, je plie, mordue par la douleur, la tristesse, le chagrin. Je me sens mourir tellement j'ai mal. Ce déballement de souvenirs moroses me froissent les entrailles. J'ai une folle envie de degobiller, mais je me retiens, je me contente de gueuler, de brailler, de japper. La voiture se chauffe, elle ne supporte plus ce déferlement peint aux couleurs de l'enfer, et Jacques non plus. Je vois la tristesse dessiner ses sourcils, ses lèvres fines. Je le vois sombrer dans une amertumes chroniques. Je le vois compatir et je sens cette gêne dans le cœur grossir. J'ai assez piaillé pour le moment. Je ferme mon clapet que j'humecte au passage, passe mes mains sur mes yeux rouges et brûlants, je me laisse m'enfoncer dans le siège.
Jacques lui aussi, se terre dans un silence paralysant. On est tous les deux muets, dépassés. Les minutes s'effacent un peu plus lentement, je sens l'air caresser les joues, et le silence me dorloter. J'ai bien envie de m'assoupir et de rester plonger dans un sommeil sans pouvoir me relever. Me rappeler cette vie, me rappelle cette envie de mort que je cajolais jadis. C'était poignant, et maintenant qu'une personne connaissait cette vie digne d'une histoire pathétique, je me sentais deux fois plus liée.
- Il est tant qu'on parte. Je prends la servante en route et je vous dépose chez vous.
- T'es buté ou quoi? T'as rien entendu de ce que j'ai raconté Jacques. Pour eux je suis morte.
- Oui et après ?
- Et après? Je ne peux retourner dans mon ancienne vie comme si de rien n'était voyons.
- Mais vu que vous êtes morte, ils ne chercheront plus à vous rendre visite ou à vous pourrir l'existence.
- Possible, mais les connaissant, je me doute bien qu'ils sont toujours à l'affût. Et cette maman que je dois toujours.
- Arrêtez Angela. Arrêtez de vous faire des films.
- C'est toi qui va arrêter putain. Dépassée, apeurée, je lui crie dessus. J'ai l'impression qu'il ne prend pas vraiment tout ça au sérieux. Et arrête de me vouvoyez comme ça. C'est la moindre des choses après que je t'ai livré mon plus gros secret.
- Ok, d'accord Angela. Mets ta ceinture de sécurité. Il fait de même de façon hâtive.
- Mais qu'est-ce que tu compte faire?
- Te prendre au sérieux.
- Et ça veut dire quoi exactement? Il est intrigant et mystérieux. Il revêt son manteau de mec sérieux et responsable. Son visage se retrace entièrement et devient plus grave. Ça m'inquiète, je me sens paniquer instinctivement.
- Fais moi confiance Angela.
VOUS LISEZ
ANGELA
Short StoryRemise à entre les mains d'un avenir incertain, elle se voit vivre pour exister et non exister pour vivre