Chapitre 1

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Quoi de mieux qu’une bonne pinte de bière abjecte dans l’auberge la plus mal famée de la capitale de la terre des hommes ? C’est malheureusement ce dont devait se contenter Naïra. C’était le vieux gérant du bar qui lui avait préparé son breuvage. Il avait dépassé la soixantaine et n’avait plus toute sa tête. Sa femme et ses filles s’occupaient d’entretenir l’auberge. Elles préparaient les plats de façon douteuse, mais leurs prix étaient bas. Naïra n’avait pas les moyens de se payer de la nourriture correcte, elle devait donc se contenter de sa bière à la texture verdâtre et de sa côte de mouton cramée. La vie n’était pas facile quand on exerçait le métier de chasseur de prime. Naïra mettait sa vie en jeu chaque jour dans l’espoir de satisfaire des clients qui ne la payaient qu’une misère. Contrairement aux autres peuples, les hommes n’étaient pas solidaires entre eux en temps de paix. Les riches riaient aux yeux des pauvres et se fichaient complètement qu’ils meurent de faim ou de froid. Naïra aurait parfois voulu être un elfe. Ils vivaient dans le respect de l’autre, de ce qui les entourait et s’entraidaient. Aucun elfe n’était mis de côté. Oui, c’était définitif, Naïra détestait sa vie, elle n’en pouvait plus de chasser des criminels chaque jour, elle voulait plus, elle voulait se sentir importante.

- Mam’zelle ? s’approcha l'une des filles des aubergistes. On va fermer.

Naïra ne prit pas la peine de finir son repas et rangea ses affaires. Elle se leva ensuite et sortit du bar, non sans voir la jeune fille jeter la côte de mouton à son chien. Celui-ci huma le morceau de viande et recula de quelques pas. Même un chien n’osait goûter cette nourriture !

Naïra soupira et s’engagea dans les rues sombres et étroites du quartier le plus mal fréquenté d’Étangith, la capitale de la terre des hommes et le siège de la royauté. En ce temps-là, les hommes étaient gouvernés par Edmund D’Oronto, un roi juste, aimant et apprécié de son peuple. Il faisait de son mieux pour garder intact les relations entre les autres peuples et le sien, et faire de son royaume, un royaume riche et prospère. Naïra admirait la force et la détermination de son roi. Elle aurait voulu être chevalier, mais contrairement à la nation des elfes, dans son peuple, les femmes n’avaient pas le droit de s'engager dans l'armée et de se battre pour leur nation. Elles devaient se contenter de s’occuper de leur foyer, de leur mari et de leurs enfants. Naïra détestait cette vision que les hommes avaient de la femme dans ce royaume. Elle, elle se battait aussi bien que les hommes, si ce n’est mieux. Elle se rappela qu’un jour, voulant s’enrôler dans l’armée, elle eut une altercation avec le commandant en chef de celle-ci. Ce dernier ne voulait pas qu’elle tente sa chance, jugeant qu’elle était trop frêle d’apparence. Naïra se doutait bien que ce n’était qu’une excuse, il ne la voulait pas dans son armée car elle était une femme. Énervée, elle s’était jetée sur lui et un combat s’en suivit. Elle en sortit vainqueur, non sans quelques peines évidemment. Le commandant changea immédiatement de discours, il reconnut en elle une guerrière digne de ce nom, mais il savait que personne ne serait de son avis. Ce jour-là, Naïra vit son rêve s’envoler, mais elle trouva aussi un ami digne de confiance, le seul qu’elle n’eut jamais eu. Elle s’entraînait très souvent avec le commandant pour se renforcer physiquement et techniquement.

Naïra entendit soudainement des bruits de pas. Ils n’étaient pas très proches, mais l’ouïe de la jeune femme était très développée. Elle pouvait entendre des bruits qui se trouvaient sur plusieurs mètres. C’est grâce à ce sens sur-développé que chaque mission qu’elle menait s’achevait d’un succès. Elle n’en était pas mieux payée pour autant. Naïra se concentra et perçut de nouveaux les pas dans une ruelle adjacente. Ils étaient si discrets que la jeune femme jugea qu’ils s’agissaient de rongeurs. Elle était fatiguée et voulait se coucher au plus vite, elle ne voulait donc pas s'attarder sur cette affaire, cependant, elle regretta bien vite de ne pas avoir été plus prudente. À la sortie de la ruelle dans laquelle elle marchait, une main se plaqua sur sa bouche. Elle se débattit en donnant des coups de bras et de pieds, mais plusieurs mains l’agrippèrent. Elle ne put bientôt plus bouger. Plusieurs silhouettes sortirent de l’ombre. Des foulards cachaient la partie basse de leurs visages et leurs yeux lançaient des éclairs. Un des leurs s’avança et dévoila son visage. La jeune femme reconnut immédiatement son collègue chasseur de prime, Elio. La main qui lui couvrait la bouche disparut aussitôt, mais Naïra ne savait quoi dire, trop abasourdie.

- Surprise ? demanda Elio, une pointe de sarcasme dans la voix.

- Et pas qu'un peu, répondit la jeune femme, ébranlée. Que signifie cette mise en scène ?

- Cette mise en scène ! s’offusqua-t-il. Te croirais-tu au théâtre ma jeune amie ?

Il commença à rire et s'arrêta aussitôt pour regarder la jeune femme avec haine.

- Ce n’est en rien un jeu, nous te haïssons tous ! À cause de toi nous devons mendier par-ci, par-là. En temps normal, être chasseur de prime ce n’est déjà pas facile, mais avec quelqu’un qui rafle tous les contrats, c’est encore plus difficile de survivre ! s'emporta le jeune homme.

Naïra commençait à comprendre. Ses agresseurs étaient tous des chasseurs de prime et ils lui en voulaient car elle était excellente dans son travail. Mais elle n'y pouvait rien, dans ce métier c'était chacun pour soi, seuls les plus forts survivaient. La jeune femme n'aimait pas beaucoup cette politique mais elle s'y était fait. Il y a un temps, elle aurait sûrement essayé de les aider, mais en les côtoyant elle avait appris que ces vautours étaient tous aussi mauvais les uns que les autres. Ils ne méritaient pas son aide, et encore moins sa pitié, même si malgré tout, elle ressentait de la peine pour eux au fond de son cœur. Naïra était loin d'être une fille méchante et égoïste, quand elle le pouvait, elle faisait de son mieux pour aider son prochain. Mais elle n'était pas non plus une fille stupide et elle ne comptait pas venir en aide à ces gens qui ne connaissait rien à la gratitude et à la gentillesse. 

- Ce n'est en aucun cas de ma faute si les clients me préfèrent à vous, répondit enfin Naïra.

Elio l'attrapa par la nuque pour la faire taire et la plaqua contre un mur. 

-  Il n’y a qu’un seul moyen de rétablir un semblant de justice, marmonna-t-il.

Il sortit une petite dague et la fit tournoyer sous les yeux de la jeune femme.

- Tu vas mourir, l'avertit-t-il d'un ton menaçant.

- Si tu continues, la seule personne qui va mourir dans quelques instants ce ne sera pas moi, mais toi.

- Tu oses me menacer ? se moqua-t-il. Contrairement à toi, je ne suis pas seul moi, reprit-il avec sérieux.

Les autres chasseurs sortirent tour à tour leurs dagues et s’approchèrent dangereusement de Naïra. Sa tentative d’intimidation ne semblait pas avoir fonctionné, elle n’avait aucune chance de s’en sortir. Elle était prise au piège et contre autant d’ennemis, elle ne faisait pas le poids. Elio affirmait vouloir rétablir un semblant de justice, mais il était le plus mal placé pour en parler. Il avait le cœur aussi noir que le plus perfide des orcs et profitait toujours de la moindre occasion pour s'enrichir sur le dos des autres. Il ne connaissait pas la notion de loyauté et de camaraderie. Naïra, elle, ne faisait que son travail et tentait de survivre, elle avait toujours été honnête avec tout le monde. Elio plaça sa dague sous la gorge de la jeune femme et celle-ci versa une larme de rage. Elle ne pouvait pas mourir comme ça, elle sentait qu’elle avait encore de grandes choses à accomplir.

Naïra, tu ne dois pas mourir aujourd’hui.
Ton heure n’est pas encore venue.
Tu es destinée à accomplir de grandes choses.
Ta nouvelle vie commence maintenant.
Laisse-toi guider par la lumière,
Elle tuera les ténèbres sur ta route et te protégera du mal.
Va et accomplis ta destinée,
Fille de Freya !

Une intense lumière jaillit du corps de Naïra, tuant sur le coup tous les chasseurs de prime qui voulaient lui faire du mal. La jeune femme tomba ensuite au sol, exténuée, sa vision se brouilla et elle sombra.

Naïra : Fille de FreyaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant