1. Conscience

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Je suis chez moi; en fait, chez nous. C'était sa maison aussi, avant tout ça. C'est difficile pour moi de vivre ici parce que tout me la rappelle elle. Mais, en même temps, je ne me vois pas quitter cet endroit. Je sens que absolument tout est de ma faute. Elle serait encore là si je n'avais rien dit, si j'avais réfléchis avant d'agir. Si par-ci, si par-là. J'aurais dû voir venir sa réaction ! Sept ans de vie commune, ce n'est pas rien ! Sept ans... C'est un peu beaucoup dire puisqu'après la perte des bébés elle passait le plus clair de son temps chez mon frère, Daryl. En y repensant, j'ai l'impression qu'elle m'évitait. On aurait pu dire qu'elle ne voulait pas faire face à la réalité. Je me demande encore comment on a pu faire pour vivre ensemble pendant cinq ans après le drame.

Je suis présentement assis, ou plutôt avachi, sur un fauteuil du salon, une bière à la main. Ça doit être ma huitième depuis le début de la soirée. Toutes les lumières sont éteintes. Il est près de 20H, un dimanche soir. J'observe par la fenêtre, dans les rayons de lumière des réverbères, les flocons d'automne tomber. C'était sa saison préférée... Je sens une larme couler sur ma joue. Je me rend compte, ce soir, que j'ai sa mort sur la conscience depuis tout ce temps. Mon frère et mon psy ont beau me répéter encore et encore que ce n'est pas de ma faute, je ne le vois pas comme ça. J'ai déclencher son geste. Action réaction, comme on dit; une action engendre une réaction.

Je pousse un hurlement de rage qui résonne dans toute la pièce et je balance ma bouteille contre le mur sur lequel elle vole en éclat. Je me prend la tête entre mes mains, tirant sur mes cheveux. J'éclate en sanglot. J'ai un faible pour cette expression. On n'éclate jamais de faim ou de froid. En revanche, on éclate de rire ou en sanglots. Il est des sentiments qui justifient qu'on vole en éclat. Comme cette bouteille. Je n'avais rien demandé, sauf de passer ma vie avec celle que j'aime éperdument.

Je me souviendrai toujours de ce premier jour, de nos premiers sourires, de nos regards. De ce jour où tout a commencé. On ne s'appréciait pas tant que ça. Mais, malgré que tu ais vécu du rejet et du jugement dû à ton corps, tu n'as pas eu peur de moi autant que tu avais peur de lui. Tu as su me faire confiance. Tu m'as donné ta première fois. Tu m'as offert ton amour sur un plateau d'argent. Les débuts ont été difficiles. On s'aimait et on se détestait. On se cherchait et on s'évitait. Tu ne comprenais pas ce que tu voulais. Ma princesse, tu me manques tellement. Si tu savais comme je regrette... Je t'ai enlevé la vie... Je t'ai tuée de mes mots...

Je cris, je hurle. Les larmes coulent à flot. Je voudrais tellement pouvoir mettre cette sensation sur une étagère et en prendre une autre qui me ferait me sentir bien en claquant des doigts. Même l'alcool ne m'aide plus. Je n'ai plus d'âme. Elle a disparue de mon corps le jour où la sienne a quitté le sien. Je me souviens encore du jour où, à la salle de boxe, sur le ring, je lui ai dit que je voulais la tenir loin de moi pour la protéger. J'avais eu raison, j'aurais dû m'écouter !

Je passe la soirée à me morfondre. Il est trois heure quand je me couche enfin dans le lit. Au matin, comme d'habitude, un énorme mal de crâne. Mais voilà, je l'ai dit : c'est comme d'habitude. Hop ! Une Tylenol, une bonne douche froide, un grand café noir et puis c'est partie pour une autre semaine aucunement différentes de toutes les autres. Je ne prend même pas le temps de raser ma barbe qui commence, encore, à prendre de l'ampleur.

Je monte sur ma moto, le cœur serré. C'était une passion que Philippine et moi partagions. J'ai garder la sienne; il était hors de question que je la vende ni qu'on me l'enlève. Je n'ai pratiquement plus rien d'elle. C'est sur cette pensée et ce sentiment que je démarre et me rend au travail. La moto garée dans mon garage privé, au sous-sol, je passe devant Lisa, à l'accueil. Elle me fait un sourire, je lui répond d'un signe de tête. Elle et mon frère sont fiancés, mais ça ne fonctionne plus très bien ces derniers temps. Phili et Lisa étaient meilleures amies. Ça n'a été facile pour personne, dans l'entreprise, qui la connaissait.

En arrivant à mon bureau, au 42e étage, je salue Jérôme, mon partenaire. Il a pris la place de Philippine après son décès. Je le détestais au début. Mais au final, il n'y était pour rien. Toute la colère que je ressentais pour lui était en fait la colère que je ressentais envers moi-même.

Plus tard, je rejoins Colin à la salle de pause. Il me parle d'un concert qu'il va faire dans quelques semaines et d'une chanson sur laquelle il a de la difficulté à trouver les paroles adéquates. Je ne l'écoute que d'une oreille distraite. Jérôme finit par nous rejoindre. Il est devenu pianiste dans le groupe de Colin. Je décide de les laisser, sans rien dire, et je retourne à mon bureau pour compléter le dossier avant la fin de la journée. Ce client est très exigeant et Gabriel veut qu'on s'applique énormément.

À midi, on se retrouve tous chez Felippe pour déjeuner. Mon ventre cri famine, mais je ne mange pas beaucoup pour autant, comparativement à avant. Les autres ont finit par s'y habituer et ils ne me posent plus de questions. C'est le seul repas que je mange en une journée. Le reste du temps j'ai l'estomac noué. Ils discutent ensemble en ne faisant pas attention à moi et ça m'arrange. Je n'ai pas envie de parler aujourd'hui; la nuit a été rude. 

Après le travail, je me rend à la falaise. C'est l'endroit où j'avais amené Philippine pour lui montrer la splendeur de la ville le soir venu. C'est également à cet endroit qu'elle s'est enlevée la vie avec une arme à feu de mon frère. Je viens à cet endroit à tous les jours après le travail depuis ce jour fatidique. Assis sur un banc à observer la ville, le cœur serré, j'entend quelqu'un approcher dans mon dos.

- Tu ne devrais pas continuer à venir ici, hermano...

C'est mon frère, Daryl. Il me connait comme le fond de sa poche.

Je garde le silence.

- Matt... Tu devrais rentrer, viens avec moi. On pourra discuter, ça te changera les idées.

- Discuter de quoi ? lui répondis-je à mi-voix, comme un murmure.

- Tu le sais très bien, dit-il en s'assoyant à côté de moi. Tu ne peux pas continuer à vivre comme ça. Est-ce que tu continus de voir ton psy ?

Je garde le silence, encore une fois. Une larme perle au coin de mon œil et il le voit très bien.

- Pourquoi tu ne quittes pas cette maison ? Tu pourrais venir vivre chez moi, comme ça tu ne seras pas seul et ça me rassurerait. Toi et moi on sait très bien que c'est ce qu'abuela aurait voulu.

Abuela signifie ''grand-mère'' en espagnol. Elle nous a élevé, mon frère et moi, après la mort de nos parents. Elle est malheureusement décédée d'une crise cardiaque peu de temps après Philippine.

Cette fois, les larmes coulent à flot, en silence. La mâchoire serrée et les mains crispées sur les cuisses, je fixe l'horizon. Ma respiration se fait difficile; je ne veux pas me remettre à pleurer, pas ce soir. Daryl pousse un léger soupire et passe son bras autour de mes épaules. On reste comme ça, se fondant dans le froid de la nuit automnale. Elle lui manque à lui aussi, ça se ressent, ça se voit. Mais il vit ce deuil plus facilement que moi. Ce n'est pas son âme sœur qui est décédée. Ce ne sont pas ces enfants qui sont morts dans le ventre de leur mère, il y a huit ans.

Après je ne sais combien de temps, je suis rentré chez moi. Daryl m'a suivit avec sa voiture. Il s'inquiète pour moi, il n'arrête pas de me le répéter. Moi aussi je m'inquièterais si toute cette histoire était arrivée à lui et pas à moi.

Arrivé chez moi, c'est avec surprise que je le vois se stationner devant mon garage. Il me suit jusqu'à l'intérieur en me disant que ce soir, je ne resterais pas seul. Je suis un peu amusé de voir sa tête aux vues de l'état du salon et de la cuisine. Il a l'air extrêmement découragé. Moi, j'ai un peu honte mais je ne m'en formalise pas. Je vais m'enfermer dans la chambre qui n'est pas mieux que le reste de la maison. Je m'affale sur le lit, avec juste un pantalon de jogging rouge bordeaux, et je fixe le plafond. J'entend mon frère marmonner en rangeant et nettoyant. Je le comprend, je réagirais pareil à sa place. La vaisselle n'est pas faite depuis des semaines, les boîtes de pizza et les restants de chinois et de thaï se sont accumulés sur le plan de travail de la cuisine, les bouteilles et les cannettes de bières jonchent le plancher du salon et la poussière s'est établie partout.

Éclairé par la lumières des réverbères qui traverse la fenêtre, je ferme les yeux, épuisé. Je m'endors en repensant à cette journée de merde, comme toutes les autres jusqu'à présent.

Is It Love ? MattOù les histoires vivent. Découvrez maintenant