Is It Love ? Matt

4. Entre deux mondes

Deux semaines se sont écoulées depuis cette soirée au bar avec Olivia. Par chance, elle ne s'est pas faite d'idées sur une possible évolution de notre relation. Je ne veux pas que ça évolue et je ne veux pas la blesser avec ça. Mis à part ça, notre travail avance bien, la vitesse est constante. Travailler m'évite de me perdre dans des souvenirs douloureux. Quand blondie me demande si ça va, je lui répond vaguement que oui. Je ne la connais pas tant que ça, je ne me vois pas lui confier mes secrets, mes regrets et ma peine. Mais, je le vois bien qu'elle constate que je ne suis pas top shape. À chaque fois, je lui donne la même réponse : la fatigue. Et, à chaque fois, elle n'insiste pas plus. Je n'aime pas cette question : "Comment ça va ?" Je la trouve trop indiscrète, trop intime. Je n'aime pas qu'on sache ce que je ressens car je vois ça comme une faiblesse. Comme une manière de nous tendre le bâton, nous faisant croire à un geste de bonté pour, ensuite, mieux nous abattre.

Bref.

En continuant à ce rythme, nous devrions avoir terminé d'ici le vingt-deux décembre, tout au plus. J'ai demandé à plusieurs reprises l'avis de Jérôme sur quelques passages – croquis – et je l'ai écouté porter un jugement critique sur d'autres.

Côté famille, Daryl organise une fête ce soir et il aimerait que j'y sois, mais je n'ai pas trop la tête à me mêler à la foule aujourd'hui. Et puis, j'ai prévu quelque chose d'important après le travail. Il a voulu savoir ce que c'était, mais c'est personnel. Je lui ai dit que j'irai à la prochaine qu'il fera et qu'il est mieux d'y avoir de jolies filles pour moi; il a éclaté d'un rire qui a sonné amer à mes oreilles.

La journée est passée en flèche, je n'ai pas vue le temps défiler. Je suis présentement à la falaise, sur ma moto, depuis une trentaine de minute. J'observe la ville à nouveau en espérant que ça me vide la tête avant le rendez-vous avec mon psy. Ça fait presque six mois que je ne l'ai pas vu, parce que j'en avais marre qu'il me répète la même chose à pratiquement chaque rencontre. Je croise les doigts pour que celle-ci se révèle être un tant soit peu prometteuse.

Je reprend la route. Direction : le bureau de mon psycologue. Le Dr. Prince'roy est un homme dans la cinquantaine, cheveux blancs bien coiffés et barbe parfaitement taillée (comparée à la mienne dont je ne m'occupe pratiquement plus). Il est toujours bien habillé; pas chic avec un complet comme Ryan Carter, mais pas en mode "laissez aller" (comme moi) non plus. Il est tout le temps polit et surtout patient avec ses clients. Après mon arrivé légèrement tardive, nous avons discuté. Il m'a demandé comment ç'avait été ces derniers mois, comment allait mon frère et certains de mes amis, si j'avais finalement été au cimetière, si ceci, si cela et blah blah blah. Ça m'ennui plus qu'autre chose. Puis vint le sujet tant redouté : comment va ma guérison ! Je ne répond même pas à sa question, je préfère faire comme si je n'avais pas entendu; l'ignorer.

- Matt, tu sais, le premier pas pour avoir ce qu'on veut, c'est d'avoir le courage de quitter ce qu'on ne veut plus, me souffla-t-il doucement, d'un ton compatissant comme s'il savait de quoi il parlait.

- Mais, c'est ÇA, le problème ! Oui, je veux aller mieux, mais je ne veux pas la quitter, je ne veux pas l'oublier...

- Qui a dit que tu devais la quitter; l'oublier ? Ce que tu veux, c'est recommencer à te sentir vivant. Ce que tu ne veux plus, c'est de te sentir au plus bas comme maintenant. Ce n'est du tout la même chose que d'oublier quelqu'un. Connais-tu le secret du changement ?

- Euh... non, je crois pas.

- Le secret du changement consiste à concentrer son énergie pour créer du nouveau et non pour se battre contre l'ancien. (Il fait une petite pause, laissant le silence peser ses mots, puis continua : ) Arrête de te battre. Aie la force – l'énergie – de tourner la page. Aie la patience d'attendre ce que tu mérites. Son souvenir perdurera; une personne qui a quittée ce monde ne meurt pas tant qu'il reste au moins une personne pour penser à elle.