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BARBARA veille à bien fermer la porte à clé derrière elle. La bibliothèque déjà fermée au public, elle n'y sort que trente minutes plus tard après avoir rangé les livres restants et fait un peu de ménage afin que ses collègues n'aient pas à le faire le matin en arrivant. Une petite marque d'attention, mais jamais elle n'a été remerciée pour son aide. À peine si ses collègues lui laissent plus de travail, eux qui terminent plus tôt et la laissent s'occuper de la fermeture de l'établissement. Mais Barbara tient le coup, car elle aime son métier.

Elle regarde sa montre affichant 19h38. Dans vingt-deux minutes, son père adoptif doit terminer son service au poste de police, mais la jeune femme sait pertinemment qu'il fera des heures supplémentaires, comme tous les jours. Les prisonniers évadés de Blackgate donnent du fil à retordre aux policiers. Entre les harcèlements, les cambriolages, les assassinats, ils ne savent plus où donner de la tête. Les policiers abandonnent à cause de la charge de travail, le manque d'effectif se fait de plus en plus ressentir.

Barbara ne voit presque plus son père, mais elle est la première à savoir qu'être commissaire de la police de Gotham, c'est beaucoup de responsabilités.

Les rues sont de plus en plus calmes. Suite à la guerre civile menée par Bane, la population de Gotham s'est confinée d'elle-même, effrayée de connaître une nouvelle crise. Les riches se sont enfuis dans des villes plus fiables, les plus pauvres se trouvent dans une plus grande misère. Les habitants reprennent peu à peu confiance, mais le terrible évènement qui les a touché pèse encore sur la métropole.

Cependant, Barbara marche aisément parmi les quelques personnes qui rentrent du travail ou des courageux qui sortent s'amuser entre amis. Les passants qu'elle croise lui sourient. Un élan de solidarité a émergé envers tout le monde. Pauvres, riches, enfants, adultes, personnes seules, en famille, tous ont vécu le même évènement tragique, tous se sentent à présent égaux.

Comme chaque soir, la bibliothécaire passe devant l'hôtel de ville. Les hommages au justicier masqué se font toujours aussi nombreux, même quelques mois après son sacrifice. Des fleurs, des petits mots, des dessins, sont déposés à sa mémoire sur le parvis du bâtiment. Quelques bouquets sont fanés mais des civils viennent les remplacer par des compositions florales toujours aussi imposantes. Des privilégiés sont même entrés à l'intérieur de la mairie, devant la statut à l'effigie du Batman, pour commémorer sa mémoire. Le cœur de la jeune femme se serre, mais elle poursuit sa marche.

Malgré cette solidarité soudaine dont Gotham avait cruellement besoin depuis des années, l'espoir s'est perdu. La forte criminalité n'en est pas la raison principale, mais la perte du Chevalier Noir. Toute la ville s'est endeuillée, et une partie l'est encore. La population ressent le besoin d'obtenir un nouveau symbole d'espoir, de justice, qui leur fait se sentir en sécurité.

Mais Barbara n'a pas peur. Elle n'a plus peur.

Arrivée devant la maison de son père, elle sort la clé et l'enfonce dans la serrure. Comme si elle était chez elle, la rousse dépose ses affaires, retire ses chaussures, et s'installe avec une tisane dans le salon pour lire un des derniers livres qu'elle a commandé pour la bibliothèque. Un roman policier qui met en scène un justicier dont le seul désir est la paix. Tout pour la faire rêver.

Une heure ou plus plus tard - Barbara n'a pas vu le temps passer, plongée dans l'univers de son bouquin -, la porte s'ouvre sur Jim Gordon. D'un pas lourd, il s'avance dans l'entrée et retire sa veste qu'il accroche sur le porte-manteau. Des cernes sous les yeux, les paupières à moitié fermées, son bâillement n'est qu'un élément parmi d'autres traduisant sa fatigue extrême.

Cependant, un léger sourire apparaît sur ses lèvres en apercevant sa fille dans le salon.

Bonsoir, Barbara. Tu es encore là ?

La jeune femme glisse son marque-page dans son roman et le dépose sur la table de salon. Aussitôt, elle se lève et part saluer son père.

Il faut bien que je prenne soin de toi ou tu passerais tes journées entières au boulot...

C'est déjà le cas, songe Gordon.

― Tu es la meilleure, ajoute-il en l'embrassant sur le front.

Barbara lui répond d'un sourire. Elle est persuadée que si elle ne vient pas lui rendre visite deux à trois fois par semaine - voire plus -, son père se laisserait aller. Soit il ne mangerait plus beaucoup, soit il sacrifierait son sommeil pour son travail. Le seul moment où le commissaire peut se détendre un peu, c'est lorsqu'il est en présence de sa fille. Malheureusement, il dirait qu'il ne la voit pas assez.

― Comment s'est passée ta journée ? s'informe Barbara.

Jim hausse les épaules.

Comme d'habitude. Je suis sur une nouvelle affaire, une jeune femme qui commet des crimes... particuliers.

Une jeune femme qui se prend pour Mère Nature, jamais le commissaire n'a eu affaire à ça.

Tandis que Jim se laisse tomber sur le canapé avec un long soupir, Barbara se dirige dans la cuisine pour verser de l'eau bouillante dans une tasse ainsi qu'un sachet de tisane. Elle apporte ensuite la boisson chaude à son père.

― Prends ça. Tu as dîné ?

― Non, mais je sens que je vais aller me reposer, je n'ai plus de force...

Jim baille une nouvelle fois et rassemble ses forces pour se lever de son siège. Barbara l'aide en le soulevant avec délicatesse par le bras. Cependant, Jim repousse sa fille, lui faisant signe qu'il peut très bien se débrouiller seul Elle pourra le faire quand j'aurais quatre vingt dix ans, si jamais j'atteins cet âge, songe-t-il.

Debout, il s'étire et avale une gorge de la tisane, observé par Barbara qui vérifie qu'il aille bien. Après tout ce qu'il a fait pour elle, la jeune femme se sent obligée d'en faire autant - voire plus - pour son père adoptif, malgré les réticences de ce dernier.

On pourrait dîner ensemble demain soir ? propose-t-il. Je fais beaucoup d'heures supplémentaires, si je pars un peu plus tôt, on ne me le reprochera pas...

Barbara se réjouie de cette idée. Un petit dîner entre père et fille depuis des semaines où elle ne le voit brièvement que pour vérifier qu'il ait bien mangé ou qu'il aille se reposer. Ça leur fera du bien à tous les deux en cette période difficile.

― Oui, ça me va. Je dois encore fermer la bibliothèque demain soir, mais on prévoit ça.

La jeune femme récupère son livre qu'elle glisse dans son sac. Après avoir enfilé sa veste, elle se dirige vers l'entrée, suivie de son père.

― Super. À demain.

― Dors bien, papa.

La jeune femme enlace son père pour lui souhaiter une bonne soirée. Ce dernier n'attend pas qu'elle soit partie pour se diriger vers les escaliers afin d'aller dormir. Un regard protecteur vers lui, puis Barbara passe la porte et rentre chez elle.

WHERE IS MY MIND ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant