WHERE IS MY MIND ?

2.o

L'HORLOGE affiche dix-huit heures vingt. Dans à peine trente minutes, Barbara pourra fermer la bibliothèque. Elle attend sa liberté depuis le début de la journée, trop pressée de rejoindre son père pour aller dîner ensemble. Leurs moments partagés passent à une vitesse affolante, pourtant cette journée est interminable - c'est d'ailleurs la cinquième fois depuis trente minutes qu'elle lève les yeux en espérant voir la grande aiguille avancer plus vite.

Un sourire aux lèvres, elle prend son mal en patience pour les minutes restantes et poursuit ses activités. Elle se lève de son bureau pour bouger un peu. Rester une bonne partie de son après-midi devant un ordinateur, ça rallonge encore plus le temps, surtout quand il s'agit de répéter des tâches ennuyantes.

Barbara tire le chariot de livres restitués à travers les allées et range les bouquins à leur bonne place. Au fur et à mesure, elle corrige aussi les erreurs des visiteurs qui veulent remettre leurs emprunts sur les étagères mais pas au bon endroit. C'est une bonne intention, Barbara en a conscience, mais elle ne peut s'empêcher de serrer les dents à cause du travail supplémentaire que ça lui donne. La bibliothèque centrale de Gotham possède des milliers de livres, alors elle n'ose pas imaginer comment ce sera sans une organisation stricte.

La porte de l'accueil grince à l'entrée d'un nouveau visiteur. Il serait temps que la mairie s'occupe aussi des lieux culturels au lieu de se concentrer sur la criminalité, s'agace Barbara qui ne fait que de dénombrer les choses à réparer. Jetant un coup d'œil entre les livres sur l'étagère en face d'elle, elle aperçoit une silhouette s'avancer vers son bureau. Pour venir si tard, elle s'imagine un employé de l'administration qui vient de sortir du travail. Les jeunes, eux, viennent juste après les cours - et tout au plus une heure -, tandis que les personnes âgées sont plus du matin.

Ne voulant pas faire attendre la personne, la rousse se dirige vers son bureau. Elle pousse son chariot afin de ne pas le laisser au milieu du passage et le laisse dans un coin derrière l'accueil.

― Barbara ?

La voix du visiteur lui semble familière, mais de qui ? Le dos tourné, elle fronce les sourcils en forçant sa mémoire pour se rappeler. Une voix qu'elle connaît très bien, elle en est persuadée, mais lointaine. Cependant, sa patience déjà faible ne la retient pas plus longtemps, en une seconde elle se retourne.

Les yeux posés sur le visiteur, tout lui revient en tête. Ses cheveux bruns, ses yeux marrons. Une plus grande taille mais toujours une tête de plus qu'elle. La douceur de sa voix mêlée à une colère dont elle est la seule à percevoir, mais sur un ton un peu plus grave que dans ses souvenirs.

― Robin ?

Le jeune homme ne peut retenir un léger rire. Il ne quitte pas des yeux la rousse, celle-ci troublée de cette rencontre soudaine.

Huit ans. Huit longues années qui les ont séparé. Ils n'étaient que des enfants, maintenant ils sont des adultes responsables. S'ils pensaient se retrouver à cet âge dans une bibliothèque, comme si de rien n'était...

Pour John, il a la sensation que ces années sont passées en un coup de vent. Il a traversé tellement d'épreuves qu'il n'a pas voulu ajouter à cela le souvenir regrettable de son amie, il sait qu'il n'aurait pas pu penser au lendemain en sachant qu'il a perdu Barbara. Il a l'impression de revoir le même visage que d'antan, mais en même temps si différente. Elle semble plus grande, avoir traversé d'importantes épreuves. Il voudrait savoir tout ce qu'elle a vécu, connaître la personne qu'elle est à présent, rattraper le temps perdu.

Pour Barbara, c'est tout le contraire. Elle a compté chaque année passée, chaque jour, chaque heure où elle s'est sentie seule après leur séparation. Avec le temps et beaucoup de travail sur soi, ce sentiment d'abandon s'est évaporé. Elle s'est entièrement reposée sur son père adoptif, espérant au plus profond d'elle-même qu'il ne la quittera jamais. Cependant, ce sentiment qu'elle a ressenti au moment où Robin s'en est allé réapparaît subitement avec son retour.